Alors que la technologie s’accélère et que les écrans se saturent de contenus rapides, le livre continue d’occuper une place dans le monde arabe — à des degrés variables d’un pays à l’autre. Un classement publié par le magazine CEOWorld pour l’année 2024 a révélé les pays arabes les plus lecteurs, offrant un aperçu révélateur de la vie culturelle dans la région et dessinant les contours du rapport des sociétés au savoir et à l’éducation.
L’Égypte en tête du monde arabe
L’Égypte s’est classée première au niveau arabe et 39ᵉ au niveau mondial, confirmant son statut historique de capitale de la culture arabe. Des grands salons du livre à l’ampleur de la production intellectuelle, en passant par le nombre élevé de maisons d’édition, le livre demeure une composante essentielle de l’identité égyptienne, malgré les défis économiques croissants.
Syrie et Liban : la lecture comme acte de résistance
La Syrie et le Liban ont occupé les deuxième et troisième places au niveau arabe, se classant respectivement 78ᵉ et 81ᵉ au niveau mondial. Malgré les conditions difficiles que traversent les deux pays depuis des années, la lecture s’y est transformée en un acte de résistance face à la réalité, aux guerres et aux crises, comme si le livre était devenu un moyen de préserver la mémoire, l’identité et l’ouverture sur le monde.
Le Golfe arabe : une présence culturelle en renforcement
Bahreïn (82ᵉ mondial), la Jordanie (83ᵉ), Oman (89ᵉ), le Koweït (90ᵉ), le Maroc (92ᵉ), le Qatar (93ᵉ) et l’Algérie (94ᵉ) ont suivi dans le classement. Ces résultats témoignent de l’existence d’un dynamisme culturel — à des niveaux variables — souvent influencé par le niveau d’éducation, le revenu et la disponibilité des espaces publics de lecture, tels que les bibliothèques et les événements culturels.
La lecture comme miroir de la société : que révèle ce classement ?
Ce classement ne se limite pas à des chiffres. Il reflète :
le niveau d’intérêt pour le savoir et la sensibilisation ;
le degré d’attachement des générations au livre papier ou numérique ;
la place accordée à la culture dans les systèmes éducatifs ;
La capacité des sociétés à résister à la dispersion numérique et à la consommation purement récréative.
Lorsque des pays arabes confrontés à des crises économiques ou sécuritaires se distinguent, cela montre que la conscience culturelle demeure solide et constitue la dernière ligne de défense de la société.
Le Liban : le livre face à l’effondrement
Le Liban apparaît comme un cas singulier dans ce classement. Malgré l’effondrement financier depuis 2019 et la baisse du pouvoir d’achat due à la dollarisation, les Libanais continuent de lire, conservant la troisième place au niveau arabe.
Le spécialiste de la culture sociétale, le Dr Chadi Marqos, souligne :
« Au Liban, le livre n’est pas une marchandise… mais une nécessité. Le Libanais lit pour résister à sa réalité et pour rester en lien avec un monde qu’il a l’impression de perdre, encore et encore. »
Selon lui, le maintien du Liban parmi les pays les plus lecteurs s’explique par plusieurs facteurs :
l’existence d’un héritage culturel profond dans le journalisme et l’édition depuis le début du XXᵉ siècle ;
la présence étendue d’universités et d’institutions académiques fondées sur la recherche et la lecture ;
l’activité persistante des clubs culturels et des bibliothèques dans les villes et les villages malgré les crises ;
la pérennité du Salon arabe international du livre de Beyrouth, qui demeure chaque année un espace de rencontre entre éditeurs et lecteurs ;
l’essor de la lecture numérique via les plateformes, en raison de l’impact du dollar sur les prix des livres imprimés.
Il ajoute que le paradoxe réside dans le fait que la lecture est devenue, au Liban, un refuge psychologique pour de nombreux jeunes ayant perdu espoir dans la réalité politique et économique, et qui se sont tournés vers le livre à la recherche d’un autre sens de la vie.
Des retombées culturelles et sociales majeures
Ce classement met en lumière des opportunités sur lesquelles il convient de s’appuyer :
la lecture protège la société contre l’ignorance et l’extrémisme ;
elle contribue au développement de l’esprit critique chez les jeunes ;
elle soutient la croissance de l’économie culturelle et du secteur de l’édition ;
elle renforce l’identité nationale tout en favorisant l’ouverture sur le monde ;
elle envoie des signaux positifs pour l’avenir malgré les crises.
La position de tête de l’Égypte et l’avancée du Liban et de la Syrie confirment que la culture n’est pas un luxe, mais une force sociale qui se manifeste avec le plus de vigueur dans les moments les plus difficiles.
En conclusion
Le livre n’est pas mort… il demeure bien vivant dans le monde arabe. La lecture n’est pas seulement un rang dans un indice, mais une pratique vivante au cœur des sociétés arabes, quelles que soient l’intensité des crises ou l’évolution des technologies.
Tant qu’un livre continuera d’être ouvert à Beyrouth, au Caire ou à Damas, l’espoir restera que la culture puisse toujours contribuer à bâtir un avenir meilleur.
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