Dans un développement qui a secoué le paysage politique du Moyen-Orient, des représentants civils libanais et israéliens se sont retrouvés au siège de la FINUL à Naqoura pour des discussions (presque) directes, sous médiation américaine. Cette réunion — la première du genre depuis 1983 — s’est tenue dans le cadre du mécanisme de surveillance du cessez-le-feu établi en novembre 2024.

Alors que le bureau du Premier ministre israélien a salué la rencontre comme une première étape vers l’établissement des fondations d’une future relation et d’une coopération économique, la réaction libanaise a été fortement divisée, reflétant un profond décalage entre les objectifs des deux pays. Il s’agit d’un jeu diplomatique complexe dont nous tenterons ici d’éclairer les contours.

La situation actuelle

Les négociations se déroulent dans un contexte marqué par une forte volatilité et une pression extérieure — en particulier américaine — pour lancer un dialogue civil capable de mettre fin à un conflit long et destructeur. L’accord de cessez-le-feu signé en novembre 2024 prévoyait le retrait du Hezbollah au sud du Litani, le déploiement de l’armée libanaise dans cette zone, et la restriction des armes à l’État seul à partir du sud du Litani, suivis du retrait progressif d’Israël du territoire libanais. Mais l’accord n’a pas été respecté, et les violations se sont poursuivies. Cela a poussé les puissances extérieures à encourager un dialogue allant au-delà du cadre sécuritaire et militaire, afin d’insuffler une dose de stabilité et de confiance à une situation militaire fragile.

Parallèlement, la crise économique et financière continue de peser lourdement sur le Liban, malgré les déclarations officielles évoquant une amélioration. L’économie formelle — privée d’investissements — n’a pas connu de croissance, comme en témoignent les chiffres de la Banque mondiale indiquant une recession de – 6,6 % en 2024. Le secteur bancaire demeure au cœur de la tempête, paralysé par l’incapacité de la classe politique à mettre en œuvre des réformes dans ce domaine, dans les finances publiques et au sein des institutions de l’État. À cela s’ajoute que la dernière guerre a coûté au Liban plus de 14 milliards de dollars, selon la Banque mondiale, entraînant une augmentation de la pauvreté et un déclin des services essentiels. Cette réalité a poussé le Liban à demander une aide internationale — conditionnée à la stabilité politique et à la mise en œuvre de réformes. Sortir de cette crise et éviter une nouvelle vague de violence constituent probablement les principales raisons qui motivent la participation du Liban à des négociations impliquant des civils.

La coopération économique

Le bureau du Premier ministre israélien affirme que les discussions en cours représentent « une tentative préliminaire pour établir les fondations d’une relation et d’une coopération économique ». Mais de quel type de coopération économique Netanyahu parle-t-il ?

Selon les informations disponibles, la discussion économique tourne autour de secteurs essentiels à la pérennité du Liban. Il ne fait aucun doute quant à la supériorité technologique et aux ressources dont dispose Israël, mais si les obstacles politiques et sécuritaires sont surmontés, la coopération économique devrait se concentrer sur :

1. Le gaz naturel et l’énergie :

Il s’agit de l’opportunité la plus rentable et la plus immédiate. Israël est capable de fournir du gaz au Liban pour alimenter ses centrales électriques, ou les deux parties pourraient coopérer en matière de sécurité et d’infrastructures pour l’extraction du gaz naturel dans le bassin oriental de la Méditerranée.

2. La gestion de l’eau :

Israël possède une grande expertise dans la désalinisation de l’eau de mer — un domaine dont le Liban a un besoin urgent en raison du déclin sévère des précipitations. Israël pourrait s’attendre à des projets conjoints, ou au minimum à un échange de compétences techniques.

3. La reconstruction et les infrastructures :

La guerre a causé d’importantes destructions dans le sud du Liban. Théoriquement, un futur paquet d’aide provenant des États-Unis et des pays européens pourrait inclure la participation d’Israël à la reconstruction des infrastructures principales — sous une condition politique visant implicitement à encourager la création d’une zone économique démilitarisée le long de la frontière.

Des attentes contradictoires

Le bureau du Premier ministre israélien a réaffirmé que les discussions visent à « établir les fondations d’une relation et d’une coopération économique ». En revanche, le Premier ministre libanais, Nawaf Salam, a décrit les discussions économiques comme une étape vers la normalisation — une normalisation qui, selon lui, doit être précédée d’un accord de paix, lequel reste lointain.

La principale difficulté réside dans la divergence fondamentale entre les objectifs stratégiques et les agendas des deux pays. Bien que les discussions économiques semblent techniques, elles constituent en réalité un terrain d’affrontement pour une séquence politique plus large.

1. La position israélienne :

Israël considère que la stabilité résulte de l’intégration. Sa vision à long terme de la sécurité régionale et de la normalisation guide ses attentes et façonne ses conditions — principalement le désarmement du Hezbollah et son retrait total de la zone frontalière. Israël perçoit les incitations économiques comme un outil stratégique permettant à l’État libanais d’atteindre une souveraineté pleine et entière.

Cette vision s’inscrit également dans un projet plus large d’intégration régionale — le corridor Inde–Arabie–Europe qui passe par Israël — visant à intégrer le Liban dans un réseau plus vaste de commerce régional et de stabilité politique à travers les accords d’Abraham. Étant donné les réserves gazières de la Méditerranée orientale, Israël cherche à sécuriser ses installations en coordonnant les opérations dans les champs gaziers offshore afin d’assurer ses exportations et de préserver des ressources nationales limitées.

2. La position libanaise :

Le Liban cherche avant tout à atténuer les effets de la crise et à préserver sa souveraineté nationale, tout en rejetant fermement la normalisation. Il cherche en particulier une aide internationale urgente pour soutenir son système financier et résoudre la crise de l’électricité, afin d’éviter un effondrement sociétal. Ainsi, l’engagement économique est mené dans un cadre de besoins humanitaires — et non de concessions politiques.

Le Liban insiste également sur un cessez-le-feu total de la part d’Israël et sur son retrait complet des territoires libanais occupés, ce qu’il considère comme une condition essentielle à toute négociation viable. Par ailleurs, la position officielle libanaise demeure fermement opposée à la normalisation — comme l’a déclarée le Premier ministre — et alignée sur l’Initiative arabe de paix de 2002, qui exige la création d’un État palestinien.

Un long chemin à parcourir

Les négociations au niveau civil sont historiques en elles-mêmes. C’est la première fois qu’un mécanisme initialement limité à la surveillance des violations militaires du cessez-le-feu est transformé en un instrument politique. Pourtant, l’analyse préliminaire révèle un profond fossé entre les objectifs d’Israël et ceux du Liban : Israël considère la coopération économique comme un prélude à la normalisation, tandis que le Liban l’envisage comme une conséquence ne pouvant suivre que l’obtention d’une paix et d’une sécurité garanties.

À ce stade, la seule chose sur laquelle les deux parties semblent d’accord est de poursuivre les discussions et de développer des idées supplémentaires pour renforcer la confiance. Le succès de cette mission diplomatique ne dépendra pas de l’ingéniosité des propositions économiques liées au gaz et à l’eau, mais de la capacité des États-Unis à équilibrer la quête israélienne d’une sécurité absolue et le besoin vital du Liban de survivre — sans franchir ses lignes rouges politiques.