Dans sa quête d’une solution à la crise chronique de l’électricité, le Liban a connu le sort « d’un assoiffé au bord du puits sans jamais boire ». Alors que les responsables parcouraient les pays arabes pour importer de l’électricité par voie terrestre — allant même jusqu’à envisager son transport maritime depuis l’Europe via Chypre — une ville de la vallée de la Békaa brillait déjà aux côtés de ses voisines, reposant uniquement sur une gestion et une planification efficaces. Pourtant, cette expérience, malgré son importance, est restée largement invisible, alors même que certains responsables ne cessent de se vanter, jour et nuit, de la décentralisation.

Depuis les années 1920, la Société EDZ , “Electricité de Zahlé” , avait obtenu une concession pour produire, transporter et distribuer l’électricité dans la ville et ses environs, à l’instar de nombreuses concessions issues de cette époque. Avec la création de l’EDL , “Électricité du Liban” , en 1964, et l’octroi de droits exclusifs de production et de transport, la concession de Zahlé n’a conservé que le droit de distribution. Son rôle s’était alors limité à superviser et entretenir les postes de transformation du courant moyen au courant faible, afin d’assurer l’acheminement de l’électricité vers les compteurs des abonnés et la collecte des factures pour le compte d’EDL.

Fournir de l’électricité malgré les obstacles

Ce qui ressortait de cette période était la capacité remarquable de Zahlé à collecter ses factures, atteignant 99 %, tandis que les pertes non techniques dans les autres régions dépassaient 35 % en moyenne — et plus de 50 % dans certaines zones — malgré l’assignement de la collecte à des prestataires de services façonnés sur mesure pour servir des influents et des bénéficiaires locaux.

Les choses ont continué ainsi jusqu’à ce que pannes et coupures dans le réseau national finirent par atteindre plus de vingt heures de rationnement quotidien. Zahlé a alors eu recours à des générateurs industriels pour stabiliser le réseau et assurer le service aux habitants. Contre toute attente, elle est parvenue à fournir de l’électricité 24 heures sur 24, avec un taux de recouvrement de 100 % depuis 2014.

L’avocat Marwan Issa el Khoury — qui a joué un rôle clé dans le succès du projet — explique que cette initiative fut mise en œuvre dans des circonstances particulièrement difficiles pour le secteur électrique en 2014–2015, alors que Zahlé et les villages environnants subissaient de longues coupures répétées sans perspective réaliste d’amélioration ou d’augmentation d’alimentation. Issa el Khoury ajoute que miser davantage sur EDL n’était ni un choix sérieux ni réaliste, ce qui a fait de la création d’une capacité de production propre à Zahlé une forme de décentralisation véritable — un projet pilote qui s’est avéré efficace par la suite.

Selon lui, le projet reposait sur une réalité confirmée par l’expérience : le secteur centralisé de l’électricité resterait stagnant, mais il offrait néanmoins la possibilité d’une décentralisation en autorisant la création d’une centrale d’urgence ajoutant une capacité de production supplémentaire, sans remplacer la production limitée assurée par EDL. Avec le temps, le projet est passé du statut d’initiative pilote à celui de projet « de référence » ou « modèle ».

Malgré le rôle essentiel joué par l’entreprise dans la stabilisation économique et sociale d’une large frange de résidents et d’institutions productives dans une région stratégique, elle n’a pas échappé aux critiques. Certains ont tenté d’interdire sa production d’électricité au motif qu’elle relevait exclusivement de l’EDL. Les discussions autour de la récupération de la concession ont débuté en 2018, à l’expiration de celle-ci. Des désaccords ont surgi quant à savoir si cette récupération incluait les machines et équipements appartenant légalement à EDL. Malgré cela, la société a poursuivi son activité jusqu’à ce jour, ayant évolué d’une ancienne concession vers un contrat d’exploitation avec l’EDL. Elle constitue désormais un exemple de décentralisation administrative et financière, ainsi qu’un modèle avancé en matière de distribution électrique — notamment dans une région longtemps marquée par les pannes et les tensions liées à la relation délicate entre l’entreprise et ses abonnés.

L’excellence n’est pas le fruit du hasard

« Ces réalisations ne doivent rien au hasard ni à la chance, mais à des efforts majeurs et essentiels déployés par un groupe de personnes convaincues de la nécessité d’améliorer les systèmes administratifs et productifs du Liban — au premier rang desquelles l’avocat Marwan Issa el Khoury », déclare Assaad Nakad, directeur général de l’Électricité de Zahlé. Cela fut rendu possible « grâce à l’établissement d’un cadre juridique permettant à l’Électricité de Zahlé (EDZ) d’obtenir une autonomie administrative vis-à-vis d’Électricité du Liban (EDL), à une époque où la notion d’“autonomie administrative” restait floue dans la législation libanaise ». Nakad précise que le partenariat de Issa el Khoury avec l’entreprise s’étend sur plus de 25 ans de collaboration fructueuse.

Cette coopération entre une gestion avisée et des expertises juridiques et techniques a permis à l’entreprise de couvrir 236 km², comprenant 16 municipalités et plus de 70 000 abonnés. Malgré les avancées techniques majeures — dont l’intégration de l’énergie solaire et l’exploitation d’une centrale propre et à faibles émissions — le cadre juridique a constitué un pilier essentiel de sa réussite. Les compétences juridiques des experts du projet ont été déterminantes dans la négociation, la rédaction de contrats et les relations avec des partenaires internationaux.

Nakad ajoute que « le rôle d’Issa elKhoury n’était pas seulement technique, mais stratégique. Son expérience juridique et organisationnelle, notamment en Afrique, a permis à l’EDZ d’être perçue comme un partenaire fiable par les entreprises étrangères, dans un environnement où les entités libanaises sont souvent perçues avec suspicion ».

La deuxième partie de ce rapport examinera comment la décentralisation peut être appliquée au secteur de l’énergie dans d’autres régions, notamment après la nomination de l’autorité de régulation de l’électricité et l’adoption de la loi sur les énergies renouvelables et distribuées.