À l’heure où le forum « Beirut One » arrivait à son terme, les portes de la première puissance économique mondiale s’ouvraient largement devant Riyadh. L’accueil chaleureux réservé à la délégation saoudienne lors de l’ouverture et de la clôture du forum — censé marquer un geste de « dégel » — a rapidement été éclipsé par le fastueux dîner protocolaire organisé par la Maison-Blanche en l’honneur du prince héritier Mohammed ben Salmane, en présence de grandes figures de l’économie mondiale et de majeurs décideurs.
Plus significatif encore, alors que le Liban repartait avec de simples intentions d’investissement conditionnées à la mise en œuvre de réformes, ces engagements représentaient moins de 1 % de ce qu’a récolté le Forum d’investissement américano-saoudien en marge de cette visite historique : un montant qui, selon le président Donald Trump, a atteint 270 milliards de dollars.
Comparer économiquement l’Arabie saoudite et le Liban est, par définition, injuste — et peut-être même dépourvu de sens. L’économie saoudienne pèse plus de quarante fois celle du Liban. Mais ce n’est pas là l’essentiel. Le problème du Liban ne tient pas uniquement au volume des investissements, mais surtout à leur nature.
La vraie différence : la nature des investissements
Alors que les responsables libanais sillonnent le monde à la recherche de financements extérieurs pour des secteurs considérés comme fondamentaux dans n’importe quelle économie moderne — électricité, télécommunications, infrastructures routières — l’Arabie saoudite pose les bases d’un partenariat stratégique avec les États-Unis reposant sur l’intelligence artificielle.
Premier résultat de cette alliance : la signature d’un mémorandum d’entente sur le développement d’applications médicales, soutenu par l’engagement du prince héritier d’investir 50 milliards de dollars pour répondre aux besoins du Royaume en semi-conducteurs.
L’intelligence artificielle et le transfert de technologies liées aux semi-conducteurs se sont imposés comme l’un des axes centraux des discussions américano-saoudiennes, aux côtés des dossiers de la défense et du nucléaire civil. Pendant ce temps, le Liban reste enlisé dans le débat sur la réforme judiciaire. Comme l’a déclaré le Premier ministre Nawaf Salam : « Sans un pouvoir judiciaire indépendant capable de restaurer la confiance des citoyens, il est illusoire d’espérer des investissements de grande ampleur. »
Il a ajouté, lors de la séance de clôture du forum « Beirut One » : « Nous avons manqué de nombreuses opportunités dans le passé, à commencer par l’échec à appliquer pleinement l’accord de Taëf et à déployer l’armée dans le Sud après le retrait israélien. Attirer les investissements exige sécurité, stabilité et sûreté. Sans cela, les capitaux ne viendront pas et nous manquerons l’occasion de relancer notre économie. »
L’essor de la « médecine intelligente »
Beyrouth — autrefois surnommée « l’hôpital des Arabes » — risque de perdre un autre rôle historique si elle ne s’adapte pas à la nouvelle ère, après avoir déjà perdu son statut de « banque » et d’« hôtel » du monde arabe. Aujourd’hui, le secteur de la santé repose de plus en plus sur un écosystème siliconé avancé, combiné à une capacité d’investissement colossale et à une rapidité d’exécution que le Liban est loin d’égaler — « à des années-lumière », selon l’expression utilisée pour décrire le fossé.
L’avenir du secteur médical reposera sur les puces électroniques, comme l’ensemble des secteurs économiques : diagnostic, analyse, accélération des traitements, prévision des maladies, production de médicaments via l’informatique avancée. Tout pays qui ne rattrapera pas cette révolution — celle de la médecine intelligente et quantique — sera irrémédiablement relégué.
L’avenir du monde
Pendant que le Liban clôturait son forum économique avec des intentions d’investissement ne dépassant pas deux milliards de dollars, selon l’application « Private Sector Network », le Forum d’investissement américano-saoudien enregistrait la signature de partenariats stratégiques majeurs dans l’IA et les semi-conducteurs.
Le géant des puces AMD, l’entreprise de systèmes SISCO et la société HUMAIN ont ainsi annoncé un projet commun visant à construire un centre de données de 100 mégawatts dans le Royaume. La société d’intelligence artificielle Luma AI en sera le premier client principal, achetant la totalité de la capacité du centre pour développer des solutions d’IA dans des secteurs clés tels que la santé, l’éducation, l’énergie et les transports.
Par ailleurs, Elon Musk, PDG de xAI, a dévoilé un projet saoudo-américain en partenariat avec NVIDIA visant à créer un centre de calcul pour l’IA de 500 mégawatts en Arabie saoudite. Ce projet s’inscrit dans une stratégie visant à positionner le Royaume comme acteur mondial majeur du développement de l’IA avancée. Musk prévoit que l’expansion de ces technologies engendrera une forte abondance de biens et de services, réduisant la dépendance au travail traditionnel et à l’argent.
Entre puces et épices
La clé du développement national réside désormais moins dans la capacité à attirer des fonds que dans la manière de les investir et les secteurs stratégiques dans lesquels ils sont dirigés. Au Liban, le modèle promu demeure largement une réplique de l’ancien : injecter des fonds dans des projets favorisant la consommation et recyclant un système déjà éprouvé et défaillant, sans véritable investissement productif — en particulier dans la technologie.
À l’inverse, des pays comme l’Arabie saoudite — aux côtés d’autres économies émergentes — s’empressent d’acquérir, d’héberger ou de faciliter la production de semi-conducteurs, les « épices » de l’ère moderne. Ces puces, au cœur de toutes les technologies intelligentes — communications, smartphones, véhicules — confèrent aux nations qui les conçoivent et les fabriquent une influence déterminante sur de vastes pans de l’économie mondiale. Une influence comparable au pouvoir économique et politique que procuraient autrefois les routes des épices aux puissances coloniales.
Peu importe l’écart entre la valeur des épices d’hier et celle des puces aujourd’hui : la règle reste la même. Celui qui contrôle la ressource stratégique contrôle les règles du jeu — qu’il s’agisse des règles du commerce autrefois, ou de celles de l’économie numérique, militaire et fondée sur l’intelligence artificielle aujourd’hui. Et tandis que le monde entier se lance dans cette course, le Liban demeure plongé dans un profond sommeil.
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