Ce qui a attiré mon attention, ainsi que celle de beaucoup d’autres, c’est que le président s’est publiquement plaint — devant le Conseil de l’Ordre des rédacteurs, devant la caméra, et d’un ton en colère et réprobateur — de Libanais aux États-Unis qui, selon lui, « déversent du poison » les uns contre les autres et diffusent de « fausses » informations.

Il apparaît que le président en a assez, ce qui l’a poussé à exprimer ses plaintes publiquement dans un message destiné à ceux qui sont concernés, et qui sont censés réagir en conséquence — qu’ils soient dans l’opposition, alignés avec lui ou membres de l’autorité au pouvoir.

Il est vrai que le président n’a nommé personne explicitement ou implicitement, et il est tout aussi vrai que lancer des accusations sans preuve est inacceptable et contraire aux normes éthiques ; de telles accusations peuvent susciter la suspicion sans preuve, à l’image des accusations inconsidérées auxquelles beaucoup se sont habitués, lancées « à droite et à gauche », injustement et sans aucune responsabilité.

Pourtant, si le public — téléspectateur, auditeur ou lecteur — applique la logique aux propos du président, il peut exclure deux groupes du cercle des suspects, des groupes que le président connaît bien et dont des responsables américains l’ont informé lors de sa dernière visite à New York.

Le premier exclu des ragots et du « déversement de poison » est « le Hezbollah », actuellement l’ennemi principal des États-Unis et la cible majeure de la confrontation en cours affectant le Liban depuis près de deux ans, traqué à chaque souffle, mouvement et parole.

Aucun de ses ministres, députés ou cadres dirigeants n’est physiquement présent aux États-Unis, et aucun ne les a visités ou compte les visiter ; ils n’ont aucun lien avec des responsables américains, des centres de décision, des ambassades, des consulats ou des bureaux qui leur permettraient de transmettre informations, secrets ou ragots, visant rivaux ou alliés. Il convient de noter que le parti fait partie du gouvernement, représenté par deux ministres.

Le deuxième groupe exclu des ragots et du « déversement de poison » est le Courant patriotique libre. Bien que le mouvement ne soit pas hostile aux États-Unis et maintienne parfois des contacts entre certains de ses responsables — députés, anciens ministres et cadres — et des personnalités américaines, il ne figure pas au programme des rencontres que les responsables américains tiennent avec les responsables libanais, sauf quelques visites occasionnelles à l’ancien président et fondateur du CPL, l’ancien Président Michel Aoun. Par ailleurs, le chef du mouvement, le député Gebran Bassil, est politiquement sanctionné par l’administration américaine, ce qui signifie qu’aucun responsable américain ne le rencontre ni ne communique avec lui.

Les derniers responsables du CPL à avoir visité les États-Unis étaient les députés Georges Atallah et Nada Boustani, qui ont assisté à la conférence annuelle du Lebanese-American Council for Democracy (LACD) ; ils n’ont tenu aucune réunion officielle et ont limité leur participation aux travaux de la conférence et à des échanges avec des membres de la diaspora libanaise pendant l’événement ou au cours de visites dans différents États.

Cela signifie que le Courant patriotique libre, désormais dans l’opposition au gouvernement actuel, est en dehors des accusations du président — surtout qu’il a lui-même souffert dans le passé du même « ragot et poison » dénoncé par le président, et ses responsables en ont parlé à plusieurs reprises, notamment lors du soulèvement du 17 octobre 2019 et de la « campagne d’assassinat politique » dont ils disent avoir été la cible.

Après ces deux exclusions, toutes les autres restent dans le champ des accusations du président, et chacun est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire, comme le veut la logique juridique.

Parmi les accusés figurent ceux qui ont soutenu la nouvelle autorité — sa présidence, son chef du gouvernement et son cabinet — qui l’ont défendue, ont organisé des rassemblements de soutien, brandi des affiches et des banderoles, publié des communiqués, rédigé des discours et parcouru le pays en remerciant Dieu pour la « bénédiction » de la nouvelle ère pour le Liban et pour eux-mêmes.

Parmi eux se trouvent des partenaires au pouvoir qui assument l’entière responsabilité, conjointement et solidairement, de tout ce qui arrive au pays ou de tout ce qu’il accomplit.

Certains de ces partenaires au pouvoir jouent également un double rôle, celui du soutien et de l’opposant, comme un partenaire spéculatif qui critique le président qu’il a élu et le gouvernement auquel il appartient, tout en estimant que tout va parfaitement bien.

Et parmi eux, il y en a qui, armés d’un surplus de pouvoir qu’ils n’ont rien fait pour mériter, lancent des campagnes contre leurs rivaux, les « disciplinant » à coups de bâton, leur « badigeonnant » les oreilles de lait, avant de les jeter dans une chambre infestée de rats, en guise de punition pour n’avoir jamais soutenu leurs politiques, idées, comportements ou passé. Pour ces individus, il est temps d’enseigner à leurs adversaires « leur véritable valeur » après avoir obtenu une victoire décisive sur eux.

Parmi les accusés figurent également ceux qui ont déclaré leur loyauté au président dès son élection — un groupe politique qui espérait autrefois que son propre chef accéderait à la présidence, dans un épisode dont les détails ne sont connus que des personnes directement impliquées et de quelques témoins informés.

Le chef de ce groupe a envoyé un émissaire auprès du chef d’un courant politique rival, l’informant de son intention de se présenter à la présidence afin de « bloquer la voie », comme l’a formulé l’émissaire au nom de son chef, au général Joseph Aoun.

Le chef du courant rival a répondu à l’émissaire : que ton chef se présente, qui l’en empêche ?

L’émissaire est revenu environ deux heures plus tard avec une proposition de son chef : mon chef ne peut pas se présenter par égard pour une puissance régionale qui soutient la candidature du commandant de l’armée et ne veut pas être mis dans l’embarras ; mais si tu le nommes avec ton bloc, tu lui éviteras cet embarras, et seulement alors il sera possible de « bloquer la voie » à l’élection de Joseph Aoun.

L’émissaire n’a pas reçu de réponse positive, alors il est retourné voir son chef, qui a demandé à son bloc parlementaire de voter, le lendemain, pour la même personne qu’il avait voulu empêcher quelques heures plus tôt.

Une question et une leçon : la lune de miel entre les composantes de la nouvelle autorité au pouvoir a-t-elle pris fin après dix mois de son installation ?

Il semble que oui, car les déclarations, positions et critiques débordent de tension.

Il n’y a pas de réalisations gouvernementales notables, et cela affecte la popularité à la veille des élections législatives, où certains pourraient gagner davantage en se présentant dans une posture d’opposition.

Et la leçon : longue vie aux proverbes. Ce proverbe en particulier ne s’est jamais trompé et ne se trompera jamais : celui qui prépare le poison le consommera.