Au plus fort de l’occupation syrienne du Liban — adoucie linguistiquement par le mot « tutelle » — et au milieu du profond découragement qui s’était infiltré dans la communauté chrétienne après la perte de la guerre et le rejet de la paix et l’Accord de Taëf, et en raison de la stagnation politique et de l’horizon fermé qui s’ensuivirent, symbolisés par l’exil des dirigeants chrétiens — forcé ou volontaire — du général Michel Aoun au président Amine Gemayel et à Raymond Eddé, par l’emprisonnement du Dr Samir Geagea dans les profondeurs d’une prison, la dissolution des « Forces libanaises », la persécution de leur jeunesse et la mise au pas ou la censure des médias, le pape Jean-Paul II arriva au Liban en mai 1997, portant l’exhortation apostolique « Une espérance nouvelle pour le Liban » et brandissant la bannière du « Liban message ».
Après avoir lancé la phrase devenue célèbre : « Le Liban est plus qu’un pays, c’est un message de liberté et un exemple de pluralisme pour l’Orient comme pour l’Occident », le 7 septembre 1989, le pape la développa dans l’introduction de l’exhortation apostolique qu’il signa le 10 mai 1997, ajoutant : « Au Liban, les chrétiens et les musulmans vivent ensemble, non pas pour s’ignorer, mais pour œuvrer ensemble au bien commun et pour bâtir une société fondée sur le respect mutuel, la coopération sincère et la liberté responsable. »
Sa visite ne se limita pas à consacrer l’identité du Liban et la philosophie de son existence, mais marqua concrètement un tournant décisif dans la rupture du mur de la peur et de la répression. Ce jour-là, les chrétiens descendirent pour la première fois dans la rue, brandissant les portraits de Geagea et d’Aoun, agitant les drapeaux de leurs partis et scandant des slogans réclamant le retrait des forces syriennes, la libération de Geagea et le retour d’Aoun — et ce, malgré les mesures de sécurité strictes, les intimidations et les menaces.
S’ensuivit une série d’événements : des élections municipales de 1998 aux élections étudiantes universitaires, en passant par « l’Appel de septembre » des évêques maronites en 2000, la rencontre de « Kornet Chehwane » en 2001, puis l’élargissement du cercle politique pour inclure le Parti socialiste progressiste et le Premier ministre martyr Rafic Hariri lors de la rencontre du Bristol, culminant avec la « Révolution du Cèdre » et le retrait syrien le 26 avril 2005.
Près de vingt-huit ans après la visite du pape Jean-Paul II, le pape Léon XIV se rend au Liban le dimanche de la fin du mois de novembre prochain. Entre-temps, le pays et la région ont profondément changé. La stagnation politique de 1997 contraste désormais avec les transformations rapides et décisives qui redessinent la scène politique régionale.
Ce statu quo a commencé à se fissurer après les événements du 11 septembre 2001, suivis par la guerre en Irak en 2003, la « Révolution du Cèdre » et le retrait syrien en 2005, les soulèvements du « Printemps arabe », et enfin les attaques du 7 octobre et leurs répercussions. Mais la facture fut lourde pour la présence chrétienne en Orient, marquée par une hémorragie démographique dramatique — hier en Irak, aujourd’hui en Syrie.
Quant au Liban, libéré de l’occupation syrienne, il vit désormais les secousses d’une domination iranienne déguisée, sur fond de revers subis par « l’axe de la résistance », de la chute du régime Assad en Syrie à l’accord de reddition accepté par le Hamas à Gaza. Le pays fait face aujourd’hui à une réalité critique en raison de l’entêtement du Hezbollah à conserver son arsenal.
L’arrivée du pape coïncide avec une intensification progressive des frappes israéliennes et un climat de plus en plus chargé, laissant craindre un glissement vers une guerre plus dévastatrice encore que la « guerre des Pagers », qui s’est achevée par un cessez-le-feu le 27 novembre 2024.
Cet entêtement s’accompagne d’un fossé grandissant dans les conceptions politiques et sociales entre le Hezbollah et le reste des Libanais, enraciné dans des divergences idéologiques profondes. Il place le Liban à un carrefour historique, soulevant des questions existentielles sur la viabilité de son système, de sa formule et de son modèle de coexistence, après le lourd tribut payé par les guerres répétées, l’instabilité chronique et la multiplicité des loyautés souvent contradictoires.
Le pape Léon ne manquera pas de renouveler l’appel au « Liban message ». Sa visite devrait tirer les Libanais de leur enfermement dans les crises immédiates et ouvrir grand la porte à une réflexion commune — notamment au sein de la composante chrétienne — sur le rôle et la présence de chacun, surtout à la lumière de l’évolution des concepts dans le monde arabe et du passage de projets fusionnels sous les bannières panarabes ou pan islamiques à une nouvelle approche des relations interarabes fondée sur l’indépendance nationale et la complémentarité plutôt que sur le rejet. Les Libanais répondront-ils à cette transformation arabe — et à la quête régionale de stabilité et de prospérité — en renforçant leur État et en rajeunissant l’esprit du pacte national, afin de l’adapter aux mutations actuelles et apaiser les craintes, loin des tabous ?
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