Lors de son récent discours à l’occasion de l’anniversaire de la disparition de l’imam Moussa Sadr, le président du Parlement Nabih Berri s’est retrouvé acculé. D’un côté, la décision du gouvernement d’imposer le monopole des armes sous l’autorité de l’État ; de l’autre, le refus catégorique du « Hezbollah » de céder son arsenal. Sans issue apparente, Berri a ressorti la bannière familière du « dialogue » — un paravent destiné à justifier le maintien des armes du mouvement chiite.
Nul mieux que Berri ignore le vide de ce prétendu dialogue national. Il en a lui-même présidé les séances : d’abord à l’été 2006, puis en 2012 au palais de Baabda sous la présidence de Michel Sleiman. Entre ces tentatives et après elles, il y eut des rounds bilatéraux ou trilatéraux, dont le plus récent fut l’engagement de sept mois du président Joseph Aoun avec le « Hezbollah ». Tous se sont soldés par des échecs — soit à cause des guerres déclenchées unilatéralement par le parti, soit en raison de son refus obstiné d’aborder la question de ses armes, même sous la forme d’une « stratégie de défense ». À chaque fois, le « Hezbollah » signait des documents pour ensuite les balayer d’un méprisant : « Trempez-les dans l’eau et buvez le jus».
Dans ce contexte, la nouvelle « initiative de dialogue » de Berri se situe en totale contradiction avec la décision du Conseil des ministres de limiter les armes à l’État, ainsi qu’avec le document libano-américain issu de plusieurs semaines de négociations intenses entre l’envoyé américain Tom Barrack et le trio dirigeant Aoun, Berri et Salam.
Bien que Berri ait largement contribué à ces discussions, il hésite aujourd’hui à en endosser publiquement le résultat. La raison est confessionnelle : au sein de la communauté chiite, avaliser une telle décision lui ferait perdre son statut de « grand frère » conféré par la direction du « Hezbollah », et risquerait surtout de l’opposer à la ligne iranienne qui guide le « duo » dans son isolement croissant. Pour complaire au parti et à Téhéran, Berri est allé jusqu’à qualifier le document de pire que l’« accord du 17 mai » avec Israël — ce même accord dont il s’était glorifié d’en avoir provoqué la chute lors du soulèvement de 1984. Ironie du sort : cet accord était bien moins compromettant que celui sur la délimitation maritime conclu avec Israël en 2022, dont Berri fut pourtant le parrain. Son rejet actuel de la « feuille Barrack » pourrait engendrer un scénario encore plus périlleux, qu’il finira peut-être par regretter des décennies plus tard, à l’instar de sa relecture nostalgique du 17 mai.
Le danger du « dialogue » proposé par Berri, dans ce moment politique d’une extrême sensibilité, réside dans le glissement du conflit d’un cadre irano-israélien à un affrontement libano-libanais. Le « Hezbollah » ne s’en cache pas : il a menacé le gouvernement et l’armée en déclarant qu’il ne « coopérerait » plus avec les militaires, même au sud du Litani. Ce faisant, il a directement sapé l’affirmation de l’État selon laquelle l’armée assumait pleinement ses responsabilités dans cette zone — offrant ainsi à Israël un prétexte pour prétendre que le Liban n’avait pas respecté ses engagements issus de l’accord de cessation des hostilités du 26 novembre 2024.
Quelle qu’en soit l’intention, cette menace ne peut être interprétée autrement que comme une incitation — invitant Israël à exercer une pression accrue sur l’État libanais tout en braquant le fusil du parti vers l’intérieur, sous le spectre permanent d’une « guerre civile ». D’où le doute grandissant : le « dialogue » de Berri n’est-il pas un piège destiné à consacrer la primauté des armes illégales sur la légitimité libanaise ?
L’histoire a tranché : tous les soi-disant « dialogues nationaux » de 2006 à 2012 et au-delà n’ont fait que renforcer la suprématie du « Hezbollah ». Le « duo » semble parier sur le même résultat avec ce nouveau round. Mais la dernière tentative de « dialogue » — l’initiative de Berri pour sortir de l’impasse présidentielle — a échoué, et rien ne permet de croire que ce nouvel appel connaîtra un sort meilleur.
À ceux qui demandent : « Quelle alternative au dialogue ? », les partisans de la « décision de limiter les armes » répondent clairement : la décision a été prise pour être exécutée, non pour être diluée ou gelée. Son application ne passe pas nécessairement par des affrontements militaires ou des effusions de sang. D’autres options existent : le confinement, les restrictions et l’assèchement des ressources — autant de mesures décidées par le commandement de l’armée et entérinées par le Conseil des ministres.
La détermination de l’État est renforcée par deux visites imminentes à Beyrouth : celle d’une délégation militaire américaine de haut rang accompagnée de l’envoyée Morgan Ortagus, et celle de l’émissaire présidentiel français Jean-Yves Le Drian, après son passage à Riyad. Ces visites apportent un double soutien militaire et financier au gouvernement et à l’armée — qu’il s’agisse de logistique pour la mission à venir ou de financements que Paris s’apprête à mobiliser lors de deux conférences internationales.
Ainsi, le sort du dernier « lapin « (le dialogue) lâché par Berri ne diffère en rien de celui de son précédent « dialogue présidentiel » : ce n’est que poussière dans le vent. L’État, lui, avance discrètement mais fermement dans l’exécution de sa décision souveraine — tout en contenant les périls brandis par ceux qui agitent l’étendard de la guerre interne.
Le plus grave, dans l’attitude du « duo », est d’avoir fusionné dialogue et menace de guerre civile, jetant la « boule de feu » dans le giron de l’armée. Ce faisant, il dépouille le dialogue de sa valeur humaine pour le réduire à un instrument de chantage — un guet-apens politique dressé contre la volonté de l’État de restaurer son autorité.