Septembre a toujours représenté un moment symbolique pour le parti des Forces libanaises, non seulement comme commémoration annuelle de la mémoire de leurs combattants tombés, mais aussi comme jalon politique au cours duquel leur chef, Samir Geagea, trace la voie des mois à venir. Souvent, il saisit cette occasion pour poser des gestes audacieux et historiques. En 2008, par exemple, Geagea avait présenté de rares excuses publiques, en son nom et au nom du mouvement qu’il dirige, pour les torts commis durant les années de guerre.
À l’époque, il avait déclaré : « Lorsque l’État s’est effondré, nous avons tenté de sauver ce qui pouvait l’être avec sincérité et conviction… Avec un cœur humble et transparent devant Dieu et devant le peuple, au nom de toutes les générations de combattants, vivants et morts, je présente des excuses profondes et complètes pour chaque blessure, préjudice ou perte injustifiée que nous avons causés. » C’était un appel à la réconciliation et à la cicatrisation d’une mémoire de guerre encore vive et toujours en souffrance, même plusieurs décennies plus tard.
Chaque année, les acteurs politiques scrutent le discours de septembre de Geagea, attendant ce mélange de constantes et d’éléments mouvants. Les constantes incluent ses positions sur la souveraineté de l’État, le pacte national, l’identité du Liban et les obstacles au fonctionnement des institutions, au premier rang desquels figure la persistance des armes du « Hezbollah » en dehors du contrôle de l’État. Geagea défend cette ligne depuis ce qu’il appelle le « coup contre Taëf », rejetant les accusations selon lesquelles il exploiterait opportunément des crises politiques comme celles du 7 octobre pour cibler le « Hezbollah ». Les Forces libanaises, insiste-t-il, n’ont jamais transigé sur la question des armes du parti, refusant de les accepter comme un fait accompli, même lors de négociations institutionnelles telles que Doha ou dans les déclarations ministérielles.
Les « éléments mouvants » de son discours, en revanche, s’adaptent aux crises immédiates du Liban : vacance présidentielle, blocage des élections, explosion du port de Beyrouth ou assassinats de figures des Forces libanaises comme Elias Hasrouni et Pascal Sleiman.
Cette année, les réflexions de septembre de Geagea seront marquées par une série de bouleversements majeurs vécus au cours des 12 derniers mois :
- L’élection d’un président et la nomination d’un Premier ministre dont la rhétorique et les politiques rejoignent la vision historique des Forces libanaises d’un État souverain régi par le droit et les institutions — une première, selon Geagea, depuis Taëf.
- La chute du régime Assad en Syrie, que Geagea avait combattu en 1977 comme jeune commandant, défié politiquement en 1986 en rejetant l’Accord tripartite négocié par Damas, et auquel il avait résisté en acceptant 11 années de prison plutôt que l’exil ou le compromis.
- Le délitement de l’« axe de la résistance », l’influence iranienne reculant dans le monde arabe et ses relais perdant irrémédiablement du terrain.
- Le déclin de la justification de la présence armée du « Hezbollah », en particulier après la « guerre du Pager », qui a sapé son récit de dissuasion.
- La session historique du Conseil des ministres du 5 août, présidée par le président Joseph Aoun, qui a abouti à une décision inédite : mettre fin à l’arsenal militaire du « Hezbollah » et placer toutes les armes sous la seule autorité de l’État, selon un plan détaillé piloté par l’armée et à achever d’ici la fin de l’année. Cette décision a reçu un soutien international massif, les puissances étrangères soulignant que les armes du parti demeurent l’obstacle principal à une aide significative pour la relance du Liban.
Pour Geagea, la session de suivi du 5 septembre ne sera qu’une formalité visant à préciser les modalités d’application. « Les dés sont jetés », affirme-t-il. Les tentatives du président de la Chambre Nabih Berri et du « Hezbollah » de revenir sur la décision d’août — comme dans le discours de Berri à l’occasion de la commémoration de l’imam Moussa Sadr — sont vouées à l’échec.
Depuis son quartier général de Maarab, Geagea pourra contempler un demi-siècle de lutte et constater que ses positions commencent à porter leurs fruits. L’« alliance des minorités », autrefois proposée, s’est évaporée. La revendication historique de la Syrie sur le Liban, qu’il avait qualifiée d’erreur historique, s’est effondrée : ses dirigeants reconnaissent désormais la souveraineté libanaise et appellent à des relations d’égal à égal, d’État à État. L’emprise de l’Iran via le « Hezbollah » s’affaiblit. Et l’arsenal du parti, longtemps braqué contre l’équilibre fragile et l’identité nationale du Liban, vacille — sa chute, insiste Geagea, n’est plus qu’une question de temps.
À l’échelle micro-politique, il pointe les échecs de ses rivaux : la stratégie avortée de la « table de dialogue » pour élire un président ; le refus d’aborder les armes du « Hezbollah » au gouvernement, finalement imposées à l’ordre du jour ; les tentatives d’accorder des privilèges à l’Iran, désormais repoussées avec la convocation de son ambassadeur au ministère des Affaires étrangères ; et la protection de longue date des armes des camps palestiniens, qui commencent désormais à être démantelées pas à pas.
Geagea pourrait à nouveau s’adresser directement au « Hezbollah », reprenant ce qu’il avait dit en septembre 2024 : « Tes armes ne protègent pas la communauté chiite, aucune arme ne protège une communauté au Liban. La véritable protection réside uniquement dans un État juste et capable… Demain nous appartient à tous, en tant que Libanais. Il est temps de sortir du passé et de construire un avenir qui reflète les aspirations de chaque composante, à l’abri des peurs et des paris étrangers. »
La question demeure : quelqu’un répondra-t-il ?