Peu de pays possèdent un paysage éducatif aussi complexe et riche en histoire que celui du Liban. Des premières écoles missionnaires à l’essor des établissements privés, en passant par la création d’un système public national, le parcours éducatif du Liban reflète son évolution sociale et politique. Mais après des décennies de conflits, de crises économiques et de bouleversements technologiques, le secteur éducatif libanais se trouve aujourd’hui à un tournant décisif — qui exige une renaissance urgente et visionnaire.

Fondations : missionnaires, secteur privé, État

L’histoire éducative du Liban débute au XIXe siècle, lorsque des missionnaires occidentaux — principalement américains, français et britanniques — fondent les premières écoles et universités. Ces institutions introduisent des programmes modernes, un enseignement multilingue et un esprit de rigueur intellectuelle qui distinguent le Liban dans la région. Le secteur privé suit rapidement, avec des établissements fondés par des organisations religieuses et laïques, réputés pour leur exigence académique et leur ouverture sur le monde.

Mais cette diversité, synonyme d’excellence, engendre aussi des défis. Le système devient fragmenté, marqué par des disparités de qualité, de ressources et d’approche entre les établissements publics et privés. L’intervention de l’État — par la création d’écoles publiques et de l’Université libanaise — visait à démocratiser l’accès à l’éducation et à renforcer l’unité nationale. Pourtant, la dualité public/privé reste une caractéristique dominante du système éducatif libanais, porteuse à la fois de ses forces et de ses inégalités persistantes.

Avec la création de la Faculté de pédagogie à l’Université libanaise, chargée de former les enseignants, les écoles publiques deviennent porteuses du flambeau éducatif au Liban, au point que le secteur privé sollicite leurs enseignants pour améliorer son propre niveau.

Les cicatrices de la guerre : jours perdus, talents perdus

La guerre de 1975 à 1990 et les conflits qui ont suivi ont profondément marqué les écoles et universités libanaises. Les violences prolongées ont entraîné des fermetures fréquentes, des milliers de jours d’école perdus, et des générations entières d’élèves dont l’apprentissage a été morcelé. À la destruction physique des infrastructures s’est ajoutée une perte plus insidieuse : l’exode des enseignants et universitaires qualifiés, partis chercher sécurité et opportunités à l’étranger.

Cette fuite des cerveaux continue de hanter le pays. La pénurie d’enseignants expérimentés nuit à la qualité de l’enseignement, tandis que le traumatisme du conflit affecte élèves et enseignants. Le système éducatif, autrefois source de fierté nationale, est devenu une victime de plus de l’histoire troublée du Liban.

Défis contemporains : un système sous pression

Les écoles publiques transformées en abris

Un défi souvent ignoré du système éducatif libanais est l’utilisation répétée des écoles publiques comme abris d’urgence en période de bombardements ou de menaces sécuritaires. Lors des récentes violences dans le Sud, près de 40 % des écoles et centres professionnels publics ont été convertis en refuges pour les déplacés, devenant inaccessibles à l’enseignement. Cela entraîne :

- Une interruption massive de l’enseignement, avec des centaines de milliers d’élèves privés de salles de classe ;

- Une surcharge des ressources, avec des établissements surpeuplés et mal équipés ;

- Des années scolaires retardées, le temps de réhabiliter les écoles après leur usage comme abris.

Intégration des élèves syriens déplacés

Le Liban accueille près d’un demi-million d’enfants syriens en âge scolaire, qui dépendent majoritairement du système public, déjà sous tension. Celui-ci a dû s’adapter :

- Double vacation scolaire : certaines écoles accueillent les Syriens l’après-midi, ce qui épuise les enseignants et limite le temps d’apprentissage.

- Salles de classe surchargées, sanitaires inadéquats, bâtiments délabrés.

- Taux de décrochage élevé, en raison de la pauvreté, du travail des enfants, et du manque de moyens pour payer le transport ou les fournitures.

- La fracture numérique et l’échec de l’enseignement à distance

La pandémie de COVID-19 a révélé la faiblesse de l’infrastructure numérique au Liban. Le manque d’accès à Internet, d’ordinateurs et d’électricité a paralysé l’apprentissage en ligne. Peu formés, les enseignants ont peiné à s’adapter, accentuant les inégalités entre élèves favorisés et défavorisés.

Programmes obsolètes, monde en mutation

Les programmes scolaires libanais n’ont pas été mis à jour depuis des décennies. Ils reposent sur la mémorisation, ignorent les besoins de l’économie moderne et n’intègrent ni les compétences numériques, ni la pensée critique, ni la formation aux métiers des STEM.

Extrémisme et confessionnalisme

Le système éducatif reflète les divisions confessionnelles du pays. Dans certaines écoles, les programmes et la culture scolaire sont dictés par des agendas politiques ou religieux, sapant la pensée indépendante et l’unité nationale.

Négligence des sciences et des technologies

Malgré une tradition intellectuelle riche, le Liban investit peu dans les matières scientifiques. Les laboratoires, les outils numériques et la formation des enseignants font cruellement défaut, risquant de marginaliser encore plus le pays dans l’économie mondiale.

Pour une renaissance éducative

Les défis sont immenses, mais non insurmontables. D’autres pays l’ont prouvé : une réforme audacieuse peut transformer la société par l’éducation.

Moderniser les programmes

Il faut une refonte complète du curriculum national, pour favoriser l’apprentissage par la réflexion, la créativité, les compétences numériques, les sciences, et une éducation civique axée sur la tolérance et la citoyenneté active.

Investir dans les enseignants

Un système éducatif ne peut dépasser la qualité de ses enseignants. Le Liban doit mieux les former, les rémunérer, les valoriser, et leur offrir un soutien professionnel continu.

Repenser les infrastructures

Les écoles libanaises ont besoin d’investissements urgents — en bâtiments sûrs et modernes, en équipements numériques, en connexion Internet fiable. Les partenariats public-privé et le soutien international sont essentiels.

Équité et inclusion

Réduire les écarts entre public et privé est vital pour la cohésion sociale. Tous les enfants, quelle que soit leur origine, doivent avoir accès à une éducation de qualité. Les réfugiés doivent être inclus dans cette vision.

Une école pour l’unité

Les écoles doivent former des citoyens ouverts, capables de rejeter les idéologies extrémistes. Cela passe par des programmes valorisant les valeurs communes et le dialogue.

Tirer parti de la technologie

La technologie doit devenir un outil fondamental. L’enseignement hybride, les plateformes numériques et la préparation aux métiers de demain doivent être généralisés.

Promesse de renouveau

Une renaissance éducative peut générer :

- Relance économique grâce à une main-d’œuvre qualifiée ;

- Cohésion sociale par une éducation inclusive ;

- Compétitivité mondiale via l’accent mis sur la science, la technologie et l’innovation.

Le système éducatif libanais est à un tournant. Les défis sont réels, mais l’opportunité de renouveau l’est tout autant. En s’inspirant de son passé et en misant sur l’avenir, le Liban peut de nouveau faire de ses écoles et universités un phare d’espoir pour toute la région.