Deux jours après les séances d’interpellation parlementaire du gouvernement libanais — dont les résultats étaient largement attendus — un fait politique marquant s’est distingué : l’émergence d’une majorité parlementaire claire réclamant le désarmement du « Hezbollah ». Que ce soit par le « désarmement » ou par des formules plus nuancées comme « remise », « retrait », « collecte » ou « limitation » des armes, le message reste unifié. Il ne s’agit que de variantes rhétoriques convergeant vers le même objectif.

Ce qui est notable, c’est que le président du parlement, Nabih Berri, a permis que ce débat ait lieu publiquement, conscient que la majorité des blocs parlementaires — y compris les indépendants, les réformateurs, et même une partie de l’opposition — partagent la conviction que le désarmement du « Hezbollah » est une condition préalable essentielle à la reconstruction de l’État libanais et au rétablissement de la confiance arabe et internationale.

Des observateurs estiment que Berri a volontairement mis la question des armes du « Hezbollah » sur la table parlementaire, à la fois comme signal et comme recommandation voilée adressée aux durs du parti. Ce geste intervient après sa propre frustration face à leur rigidité concernant l’initiative américaine portée par l’émissaire Thomas Barrack. Les conditions posées par le « Hezbollah », notamment leur refus de toute échéance pour le désarmement, semblent avoir mis à rude épreuve la patience de Berri.

Les commémorations de l’Achoura ont accentué ces tensions. Des critiques inédites ont visé le mouvement Amal et Berri lui-même — souvent présenté comme le « grand frère » du » Hezbollah » — pour avoir été trop conciliant avec la proposition Barrack, voire pour avoir même envisagé que le parti puisse abandonner ses armes. Pendant ce temps, les intellectuels, journalistes et militants chiites qui s’expriment ouvertement sont de plus en plus menacés et intimidés.

Nombre d’analystes comparent la position de Berri sur la question des armes à celle de Walid Joumblatt face à la violence croissante et à la prolifération des armes dans la région syrienne de Soueïda : un appel à la raison, à la désescalade, et au recentrage de l’autorité de l’État.

Au sein des communautés chiite et druze du Liban, des voix plus modérées œuvrent à détourner leurs groupes respectifs d’un chemin dicté par des agendas régionaux et internationaux en conflit. Parmi les intellectuels chiites, ils sont de plus en plus nombreux à estimer que l’intransigeance du « Hezbollah » isole leur communauté — géographiquement, militairement, politiquement et socialement — dans un triangle étouffant entre Israël, la Syrie et une majorité libanaise de plus en plus unifiée.

Ces voix affirment avec conviction que les armes du « Hezbollah » n’ont pas protégé, et que ses ressources financières n’ont rien construit. Seul l’État, soutiennent-elles, peut véritablement assurer la protection et la reconstruction — grâce à son monopole sur les armes, la décision politique et les circuits financiers, soutenus par les donateurs arabes et internationaux.

La décision récente de la Banque du Liban d’interdire les transactions avec la structure financière du « Hezbollah », Al-Qard Al-Hassan, est perçue comme une étape vers le démantèlement des trois piliers de l’organisation : les armes, les finances et l’adhésion à la doctrine iranienne du velayat-e faqih (le pouvoir du juriste).

Les penseurs chiites modérés perçoivent également un changement profond dans la région : l’ère des milices armées touche à sa fin. Du PKK kurde aux factions du sud syrien, en passant par les unités du Hachd al-Chaabi en Irak, jusqu’aux Houthis au Yémen — et, en filigrane, jusqu’à l’Iran et ses Gardiens de la Révolution — l’histoire penche désormais vers la souveraineté des États. Même Téhéran ne parvient plus à réactiver ses relais dans les quatre pays arabes qu’elle avait autrefois infiltrés durant sa phase d’expansion il y a vingt ans.

Certes, des groupes extrémistes continuent d’agir dans certaines régions de Syrie, représentant une menace pour les minorités religieuses et sociales. Mais ces factions sont de plus en plus contenues et seront probablement neutralisées à mesure que l’autorité de l’État se renforcera, avec l’appui coordonné des États-Unis, de l’Europe et du monde arabe.

Il serait illusoire — et dangereux — pour une minorité de fonder sa survie uniquement sur les armes, tout en s’isolant de son environnement et en s’en remettant à des secours d’ordre mystique. L’histoire enseigne que les entités les plus exposées à l’extinction sont celles qui misent uniquement sur la force brute et ignorent les lois d’adaptation à leur environnement.

Le Hezbollah persiste à se présenter comme une force armée autonome — un bouclier contre Israël au sud, contre les extrémistes à l’est et au nord, et contre ses adversaires internes. Mais ce récit s’est déjà effondré dans le Sud libanais, et il est voué à s’effondrer ailleurs.

Il est temps d’abandonner cette dépendance des armes illégitimes comme solution de survie, de légitimité ou de stabilité nationale. Seul l’État libanais est en mesure d’offrir une véritable protection et de reconstruire le pays.

L’espoir réside dans le message politique et populaire fort émis par le Parlement libanais : qu’il pousse le « Hezbollah » à écouter les conseils des sages de la communauté chiite, à l’image de ce que d’autres confessions ont fait en affrontant leurs propres réalités.

Imaginons, ne serait-ce qu’un instant, le destin de ces groupes minoritaires — ceux qui misent tout sur les armes, s’aliènent leur environnement, et attendent un soutien providentiel.

L’histoire est formelle : la survie n’appartient pas à ceux qui s’accrochent à la force moribonde, mais à ceux qui savent s’adapter à leur milieu, naturel comme politique.