Avant même l’annonce de la visite de l’envoyé spécial français Jean-Yves Le Drian, les responsables libanais disposaient de peu d’informations sur son programme ou les messages qu’il comptait transmettre. Cette visite s’inscrit dans la volonté réaffirmée de la France de souligner l’importance du Liban à ses yeux et de soutenir sa relance politique, après avoir joué un rôle dans l’accélération de la formation des institutions présidentielles et gouvernementales.

La France a soutenu de manière constante le président Joseph Aoun depuis son élection, suivant de près le processus de formation du gouvernement, y compris la répartition des portefeuilles ministériels, tout en maintenant des relations cordiales avec le « Hezbollah ». L’ambassadeur de France s’est rendu régulièrement dans la banlieue sud de Beyrouth, et Ali Hamie, ancien ministre affilié au « Hezbollah » et détenteur de la nationalité française, occupe désormais le poste de conseiller présidentiel, avec un bureau au palais de Baabda.

La France observe la situation au Liban, tandis que le Liban fait face aux menaces israéliennes et à une pression américaine persistante, notamment en ce qui concerne le mandat de la FINUL ou les efforts de reconstruction. Dans ce contexte, la France cherche à se tailler un rôle. Toutefois, sa présence dans la région demeure modeste et dépourvue de tout véritable poids politique. En Syrie, elle souhaite jouer un rôle dans le tracé des frontières terrestres et maritimes, dans l’espoir d’obtenir une part dans les projets d’exploration pétrolière. Elle s’intéresse également à la délimitation des frontières terrestres entre le Liban et Israël, pour permettre à ses entreprises de reprendre leurs activités.

Lors de sa visite à Aïn el-Tiné, Le Drian a insisté sur l’importance des réformes financières, condition préalable à la tenue de la conférence internationale de soutien au Liban prévue pour l’automne. Cette insistance sur les questions économiques, accompagnée d’un traitement superficiel des sujets comme la FINUL ou les agressions israéliennes, a surpris le président du Parlement Nabih Berri ainsi que plusieurs députés. Il est rapidement apparu que l’objectif principal de Le Drian était de faire pression pour que les réformes financières soient votées par le Parlement. Des sources rapportent également que la France tente de convaincre le gouverneur de la Banque centrale, Karim Saïd, de faire preuve de flexibilité sur ce dossier.

Fait étonnant : alors que Le Drian faisait le point sur les réformes, l’Union européenne inscrivait le Liban sur sa liste noire pour blanchiment d’argent — un sujet que l’émissaire français n’a ni abordé ni commenté.

Le Drian n’a pas manqué de se rendre dans le fief du « Hezbollah » et de rencontrer le chef du bloc parlementaire « Loyauté à la Résistance », Mohammad Raad. Il a également échangé avec plusieurs chefs de partis et présidents de blocs parlementaires, comme pour confirmer que la France se positionne à égale distance de toutes les parties.

Cependant, aucun des interlocuteurs de Le Drian n’a quitté son entretien avec une idée claire de sa mission, renforçant l’impression que sa visite avait un caractère strictement exploratoire, sans initiative nouvelle ni date fixée pour la conférence de soutien. Cela dit, le rôle de la France en tant que « porte-plume » au Conseil de sécurité des Nations unies reste un levier important pour assurer le renouvellement du mandat de la FINUL sans modification de ses attributions.

Dans le vide laissé par les États-Unis — notamment après la fin des fonctions de Morgan Ortagus —, Le Drian revient sur le devant de la scène, confirmant que la France agit davantage par réaction que par initiative. Alors que les grands dossiers libanais restent ceux des armes et de la FINUL, la France n’a pas encore marqué de présence significative sur ces terrains. L’envoyé s’est plutôt concentré sur les réformes économiques, ce qui traduit un glissement de la stratégie française d’une approche politique vers une approche économique.

Il est aussi apparu que l’ambassade de France, en collaboration avec la Chambre de commerce, organise depuis un certain temps des rencontres avec les représentants des secteurs économiques libanais pour évaluer les opportunités d’investissement à venir. Cela reflète la volonté de la France de garantir sa place dans les investissements anticipés au Liban et en Syrie. Consciente d’être devenue un acteur secondaire dans les dispositifs de sécurité régionaux, elle tente de tirer parti de l’absence temporaire de Washington pour renforcer sa présence, en s’insérant dans les brèches laissées ouvertes. Ce recentrage constitue un aveu implicite de la limitation de son influence politique actuelle, que Paris cherche désormais à compenser par une stratégie économique menée par Jean-Yves Le Drian, récemment nommé à un poste en Arabie Saoudite, lui permettant d’explorer de nouveaux horizons d’investissement pour la France dans la région.