Le Liban connaît actuellement l’une de ses années les plus sèches, selon les météorologues, qui y voient le signe d’un déséquilibre climatique persistant depuis 2015. Les précipitations ont chuté de 50 % par rapport à la moyenne, faisant redouter un été difficile pour la population. Mais cette pénurie d’eau ne fait que révéler des problèmes beaucoup plus profonds, enracinés dans la gestion structurelle du secteur hydraulique libanais.
Un système à bout de souffle
Au cœur de cette crise se trouve une mauvaise gestion chronique. Pendant des décennies, l’absence d’investissements et d’entretien a détérioré les infrastructures hydrauliques, les rendant incapables de stocker et de distribuer l’eau correctement. D’après des experts, près de 50 % de l’eau potable se perd à travers des réseaux de tuyauterie vétustes. Résultat : les quantités réellement accessibles aux citoyens chutent drastiquement, comme en témoignent les données officielles.
Mais les infrastructures ne sont pas seules en cause. La corruption joue aussi un rôle central, notamment à travers les liens opaques entre les opérateurs de citernes privés et les gestionnaires des installations hydrauliques régionales. À cela s’ajoute l’absence de réseaux d’égouts, une mauvaise gestion des déchets solides, et une urbanisation désordonnée des zones montagneuses. Résultat : les sources sont polluées, les nappes phréatiques surexploitées.
Le changement climatique aggrave la situation. Les quatre saisons traditionnelles deviennent de plus en plus floues, notamment en termes de précipitations. La hausse des températures accentue l’évaporation des eaux de surface, assèche certaines rivières et diminue les réserves souterraines. L’arrivée massive des réfugiés syriens a doublé la demande en eau, forçant certains à consommer une eau impropre.
La consommation en chiffres
Selon la stratégie nationale de l’eau, la demande totale en 2010 était d’environ 1 473 millions de mètres cubes, avec une consommation moyenne de 180 litres par jour et par personne. Cette demande se répartissait comme suit :
810 millions de m³ pour l’agriculture
152 millions de m³ pour l’industrie
6 millions de m³ pour le tourisme
En 2020, la demande est tombée à 1 232 millions de mètres cubes, la consommation individuelle à 125 litres/jour. La répartition avait changé :
882 millions de m³ pour l’agriculture
350 millions de m³ pour l’industrie
350 millions de m³ pour le tourisme
Ces chiffres sont toutefois à prendre avec prudence, en raison de l’absence de mécanismes de contrôle fiables et de l’état dégradé des infrastructures.
Y a-t-il un plan gouvernemental ?
Aucune déclaration ou document officiel ne montre que le gouvernement libanais dispose d’un plan pour affronter la pénurie d’eau attendue cet été, pourtant crucial pour le tourisme. Ce vide rappelle la crise de 2014, où l’idée d’importer de l’eau depuis la Turquie par bateaux avait été lancée — alors même que le Liban négociait un accord pour fournir de l’eau à Chypre un an plus tôt.
Les options à disposition du gouvernement sont limitées. Voici dix mesures envisageables :
Imposer un rationnement de l’eau pour assurer la continuité de l’approvisionnement en été.
Lancer des campagnes de sensibilisation sur l’usage responsable de l’eau.
Sanctionner tout gaspillage, quel qu’en soit le type.
Réparer les fuites et moderniser le réseau avec l’aide de prêts de la Banque mondiale.
Encourager la collecte des eaux de pluie sur les toits et dans des puits de stockage.
Moderniser l’irrigation agricole, qui consomme 60 % des ressources, et passer à l’irrigation goutte-à-goutte.
Protéger les sources d’eau de la pollution, et financer des réseaux d’assainissement autour de ces sources.
Recycler les eaux usées pour les usages non-potables.
Mettre en place un système de dessalement, si la crise s’aggrave.
Élaborer une politique nationale de l’eau durable pour garantir un accès à long terme à l’eau potable.
Résoudre la crise de l’eau exige des investissements lourds dans les infrastructures et une refonte complète de la gouvernance du secteur.
Durée des réserves d’eau
Difficile de répondre avec certitude : les autorités ne publient ni le volume actuel stocké ni les prévisions de demande estivale. Une simulation simple à partir de quelques hypothèses peut toutefois donner une idée.
Trois variables ont été prises en compte :
Le taux de remplissage des réservoirs en % de leur capacité totale
La contribution moyenne des précipitations mensuelles
La consommation mensuelle (ménages, agriculture, industrie)
Trois scénarios ont été testés :
Précipitations et consommation moyennes
Précipitations inférieures à la moyenne
Consommation estivale supérieure à la normale
L’étude n’intègre pas l’évaporation ni les fuites.
Le graphique n°1 issu de cette simulation montre que la période avant une réelle pénurie varie entre 4 mois (pire scénario) et 10 mois (meilleur scénario). D’où l’urgence d’un plan gouvernemental clair pour éviter que le pays ne sombre dans une nouvelle crise.