Alors que le Liban se prépare à la visite attendue de l’envoyée américaine Morgan Ortagus, Israël a intensifié ses attaques contre les villages et les villes du sud au cours des deux derniers jours. Une série de frappes aériennes a précédé l’arrivée prévue d’Ortagus la semaine prochaine, dans le cadre d’une mission qualifiée d’exploratoire et d’information.
Durant sa visite, Ortagus devrait s’enquérir des avancées réalisées par l’armée libanaise concernant le démantèlement de l’arsenal du « Hezbollah » — un signe clair que les États-Unis placent le Liban sous surveillance en ce qui concerne les armes du parti. Washington semble perdre patience face aux tergiversations du gouvernement libanais, et des craintes grandissent quant à la possibilité que l’envoyée impose des exigences strictes sous le couvert du désarmement sur l’ensemble du territoire libanais. Ortagus devrait également soulever des questions liées à des réformes en dehors du cadre du Fonds monétaire international, dans une démarche qui s’inscrit dans les objectifs plus larges des États-Unis liés aux « Accords d’Abraham », lancés par l’ancien président Donald Trump, visant à normaliser les relations arabo-israéliennes — et où le Liban apparaît de plus en plus impliqué.
Dans une déclaration remarquée vendredi, un responsable de la FINUL a mis en garde : « La situation au Liban appelle à la prudence. Une solution politique au conflit dans le Sud est essentielle, et nous devons œuvrer en ce sens. »
Ortagus avait auparavant évoqué, auprès des responsables libanais, la possibilité de négociations directes avec Israël sous prétexte de délimitation des frontières terrestres. Mais la position officielle du Liban demeure ferme: il n’est pas nécessaire de renégocier des frontières déjà tracées. Seules quelques zones contestées doivent être traitées dans le cadre des Nations unies, conformément à l’accord d’armistice de 1949.
La position libanaise vis-à-vis d’Israël et des « Accords d’Abraham » se distingue de celle des autres pays arabes. Le Liban se réfère systématiquement à l’accord d’armistice de 1949 avec Israël, qui a défini le cadre des relations frontalières entre les deux pays, et qui demeure l’unique référence juridique adoptée par les gouvernements libanais successifs.
Depuis l’administration Trump, les évolutions rapides dans la région ont contraint le Liban à réaffirmer l’importance de cet accord, considéré comme la base de tout futur arrangement. Lors de sa visite en France, le président libanais Joseph Aoun a réitéré le droit du Liban à récupérer ses terres occupées par Israël et a confirmé l’engagement du pays envers l’armistice de 1949 — également mentionné dans l’Accord de Taëf de 1989 — en tant que cadre juridique régissant la relation frontalière avec Israël.
De son côté, le chef historique du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, n’a cessé d’insister sur la nécessité de maintenir l’accord d’armistice. Il met régulièrement en garde contre les tentatives israéliennes visant à le modifier, affirmant que le respect de ses clauses constitue une forme de protection pour le Liban. Plusieurs responsables libanais ont appuyé cet appel, réclamant la fin des violations israéliennes répétées et le retrait total des territoires libanais occupés.
L’accord d’armistice a vu le jour à l’issue de négociations directes entre le Liban et Israël, sous l’égide des Nations unies, après la première guerre israélo-arabe. Il prévoyait la fin des opérations militaires et le respect mutuel des frontières internationales de 1923, considérées comme ligne de démarcation entre le Liban et la Palestine d’alors.
L’accord d’armistice de 1949 est constitué de huit articles principaux, détaillant les modalités de mise en œuvre du cessez-le-feu. L’un des points les plus essentiels interdit à toute entité militaire ou paramilitaire — officielle ou non — d’entreprendre des actions hostiles, militaires ou civiles, contre l’autre partie. Il interdit également toute traversée de la ligne d’armistice, ainsi que toute violation de l’espace aérien ou maritime de l’autre camp.
L’article sept établit une Commission mixte de surveillance du cessez-le-feu, composée de cinq membres : deux nommés par chaque partie, et un cinquième, président de la commission, désigné parmi les officiers supérieurs de l’Organisation des Nations unies chargée de la surveillance de la trêve (ONUST), en consultation avec les deux camps.
Malgré ce cadre juridique, les États-Unis ont tenté de mettre en place un nouveau comité dédié à la délimitation des frontières, en exigeant que les négociations se fassent directement entre le Liban et Israël, sans médiateur. Le Liban a catégoriquement refusé cette proposition, réaffirmant que l’accord d’armistice reste sa seule référence légale. Washington semble cependant déterminé à contourner les mécanismes existants, en proposant des alternatives qui sapent l’accord initial.
À ce jour, l’accord d’armistice ne reçoit pas une attention sérieuse de la part des États-Unis, qui privilégient plutôt la mise en œuvre des résolutions 1701 et 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies, ainsi que le dernier accord de cessez-le-feu. Il n’est pas clair si Ortagus recommandera de relancer la commission issue de l’accord, qui continue pourtant de se réunir à Naqoura, ou si Washington compte promouvoir la création d’un nouveau comité, dirigé par les Américains, à l’image de la commission de surveillance du cessez-le-feu, dont les réunions se tiennent dans l’opacité la plus totale, sans aucun effet notable pour dissuader les attaques israéliennes récurrentes.
Alors que la pression américaine s’intensifie, une question cruciale demeure : l’accord d’armistice de 1949 protégera-t-il le Liban de l’engrenage des « Accords d’Abraham », ou l’héritage des accords de Trump s’imposera-t-il, même par la force ?