L’élection du cardinal Robert Francis Prevost, devenu aujourd’hui le pape Léon XIV, en tant que premier pape américain, marque un tournant dans l’histoire de l’Église catholique. Depuis la fondation des États-Unis d’Amérique en 1776, mais surtout depuis l’émergence des États-Unis comme grande puissance à la fin de la Première Guerre mondiale, puis comme superpuissance à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’idée d’un pape originaire des États-Unis était jugée inconcevable, principalement pour des raisons géopolitiques, culturelles et ecclésiales. Les cardinaux du conclave, conscients de la puissance américaine, hésitaient alors à élire un pape américain, craignant de conférer aux États-Unis le leadership spirituel en plus des leaderships politique, économique, militaire, financier et technologique dont ils jouissent déjà. Pourtant, en mai 2025, le conclave des 133 cardinaux a choisi un Américain, signalant à la fois une rupture avec la tradition et une continuité nuancée dans l’identité mondiale évolutive de l’Église. Pourquoi un pape américain, et pourquoi maintenant ?

Mondialisation du Collège des cardinaux

Le Collège des cardinaux, organe du Vatican chargé de l’élection du nouveau pape, est plus international que jamais, avec plus de 80 % de ses membres nommés par le pape François. Beaucoup partagent ses perspectives sur la justice sociale, l’inclusivité et la nécessité d’une Église à l’écoute des « périphéries » plutôt que des centres historiques du pouvoir. Les cardinaux étaient pleinement conscients du poids symbolique de la sélection d’un pape issu des États-Unis, une superpuissance où les catholiques forment une Église puissante et conservatrice, mais restent minoritaires par rapport au reste des chrétiens américains, et où la relation de l’Église avec le pouvoir politique est complexe et souvent conflictuelle.

Les références internationales de Prévost

Bien qu’américain de naissance, le parcours du pape Léon XIV est profondément international. Il a passé plus d’une décennie comme missionnaire et évêque au Pérou et a dirigé l’Ordre des Augustins, acquérant une expérience approfondie en Amérique latine et dans le Sud global. Depuis deux ans, il dirigeait le dicastère du Vatican chargé de la nomination des évêques dans le monde entier, renforçant encore sa perspective globale. Comme l’a souligné le révérend David Collins, S.J., « Il est aussi international qu’américain. » Ce parcours cosmopolite a rassuré les cardinaux et les fidèles sur le fait que, bien qu’américain, Léon XIV ne serait ni paroissial ni soumis aux intérêts américains.

Une Église en crise, en transition

L’Église fait face à des défis internes et externes extraordinaires : déclin de la participation en Occident, montée d’une droite catholique aux États-Unis, conséquences persistantes des scandales d’abus sexuels, et sécularisation croissante. Les cardinaux cherchaient un dirigeant capable d’unifier une Église fracturée, de bâtir des ponts entre les clivages idéologiques et de poursuivre les réformes engagées sous François sans provoquer un schisme ou une réaction excessive.

Des voix éminentes au sein de l’Église ont souligné que Léon XIV n’a pas été choisi parce qu’il est américain, mais parce qu’il était considéré comme le meilleur candidat pour unifier et diriger l’Église à ce moment critique. Comme l’a déclaré le cardinal Luis Antonio Tagle des Philippines : « Je ne pense pas que le pays d’origine soit le facteur déterminant (…) il s’agit de la personne capable de servir l’Église. »

Continuité avec les réformes de François

Que va donc conserver Léon XIV de son prédécesseur ? On s’attend à ce que le pape Léon XIV maintienne en grande partie l’orientation donnée par François, notamment en matière de justice sociale, de protection de l’environnement et de synodalité, valorisant la gouvernance partagée. Dans ses premières interventions, Léon XIV a évoqué la nécessité pour l’Église de répondre à la « révolution numérique » et de poursuivre le chemin du renouveau initié par le Concile Vatican II.

Le choix du nom Léon XIV fait référence au pape Léon XIII, dont l’encyclique Rerum Novarum (Les droits et devoirs du capital et du travail) a jeté les bases de la doctrine sociale moderne de l’Église. Cela annonce une volonté de poursuivre l’engagement de l’Église envers les pauvres, les travailleurs, les migrants et les communautés marginalisées, avec un accent sur la justice sociale et la dignité humaine.

Léon XIV a réaffirmé l’importance de la synodalité, mettant l’accent sur une plus grande consultation et une prise de décision partagée au sein de l’Église, dans la continuité des efforts de François pour donner plus de pouvoirs aux évêques locaux et aux laïcs, signalant une volonté de poursuivre la décentralisation.

Comme François, Léon XIV devrait défendre la protection de l’environnement et le respect de la création, des enjeux qui résonnent à l’échelle mondiale, notamment dans le Sud global.

Le pontificat de François a été marqué par une approche pastorale des questions sensibles, telles que le traitement des catholiques divorcés remariés et la bénédiction des couples de même sexe. Si les positions personnelles de Léon XIV sur ces sujets restent à préciser, son parcours laisse entrevoir une volonté d’aborder les réalités complexes sans revirements brusques.

Qu’est-ce qui change sous Léon XIV ?

Bien que l’on ne s’attende pas à ce que Léon XIV revienne sur les réformes de François, il pourrait aborder les sujets de controverse avec une tonalité différente. À la tête du dicastère pour la nomination des évêques, il était reconnu pour sa compétence administrative plutôt que pour son engagement public dans les guerres culturelles. Cependant, ses discours antérieurs laissent entrevoir une position plus traditionnelle sur certaines questions morales, comme l’euthanasie et le mariage homosexuel, que l’approche ouverte de François, célèbre pour son « Qui suis-je pour juger ? »

L’élection de Léon XIV intervient à un moment où le catholicisme américain est à la fois politiquement influent et profondément divisé. La montée d’une droite catholique conservatrice, étroitement liée aux récentes administrations américaines, contraste avec la tendance générale à la sécularisation et à la baisse de la pratique religieuse. Les racines américaines de Léon XIV pourraient lui permettre de dialoguer plus efficacement avec les catholiques américains, mais il devra équilibrer les attentes des conservateurs américains avec les perspectives plus diverses de l’Église universelle.

Malgré son origine américaine, le long service de Léon XIV au Pérou et au Vatican en fait un leader mondial plutôt qu’un représentant nationaliste. Son élection complique les tentatives des critiques américains de le présenter comme déconnecté des valeurs américaines, tout en rassurant les catholiques du Sud global quant à l’engagement de l’Église envers leurs préoccupations.

L'Église et l'intelligence artificielle

Le pape Léon XIV a souligné dans son premier discours devant les cardinaux la nécessité pour l'Église de répondre aux défis de l'ère numérique. Il a considéré que l'intelligence artificielle représente l'un des plus grands défis de cette époque, affirmant que l'Église catholique est aujourd'hui appelée à répondre avec un esprit d'adaptation et de renouveau. À cet égard, le pape a souligné que l'intelligence artificielle doit rester au service de l'homme et de son développement, et ne pas devenir un outil d'asservissement ou de manipulation. Il a appelé à une vigilance mondiale où l'homme est toujours en position de prendre des décisions et où la responsabilité éthique reste à la charge des humains, pas des machines. La conscience, la capacité de faire des distinctions éthiques et la recherche du bien restent des caractéristiques humaines que les machines ne peuvent pas entièrement imiter.