Alors que le monde connaît une avancée technologique sans précédent, le parcours du Liban vers la transformation numérique demeure au point mort — freiné par une impasse politique, une désorganisation administrative et une infrastructure en déclin. Dans une interview exclusive, l’expert en transformation numérique Raymond Khoury met en lumière les principaux obstacles auxquels le Liban est confronté, tout en proposant une feuille de route complète pour lancer une économie numérique inclusive, au service de l’État comme des citoyens.

Khoury souligne que le manque de priorisation par les gouvernements libanais successifs est l’une des causes principales de l’échec des initiatives numériques. Il explique que, bien que des stratégies nationales aient été élaborées et des budgets alloués, leur mise en œuvre a échoué faute de volonté politique unifiée et de coordination entre les acteurs clés — à savoir le ministère des Télécommunications, le Bureau du ministre d’État à la Réforme administrative et le ministère des Finances. L’absence de réformes habilitantes, de procédures opérationnelles standardisées et de cadres unifiés a empêché l’instauration d’une infrastructure numérique sécurisée et intégrée entre les institutions publiques.

S'appuyant sur son expérience au ministère du Développement administratif, Khoury affirme que la volonté d'agir est bien présente — mais qu’il manque un gouvernement cohérent qui place la transformation numérique au cœur de ses priorités et s’engage sérieusement à renforcer les secteurs nationaux grâce à l’innovation numérique. Il estime qu’avec la volonté politique et la stabilité, le Liban peut devenir un pôle numérique régional, notamment grâce à son capital humain qualifié et à un vaste réseau d’expatriés experts dans le domaine technologique.

Khoury identifie plusieurs mesures urgentes que l’État libanais doit prendre pour enclencher ce processus. Il s’agit notamment de moderniser l’infrastructure des télécommunications, d’élargir l’accès à Internet et de le connecter aux réseaux mondiaux, de lancer un système de paiement numérique intégré, et de créer une plateforme nationale d’identité numérique sécurisée permettant la délivrance de cartes multifonctions aux citoyens et résidents — regroupant carte d’identité, permis de conduire et carte de santé.

En comparant avec les pays du Golfe, Khoury souligne ce qui fait la différence : une volonté politique forte et une vision stratégique claire, émanant des plus hauts niveaux de l’État. Ces pays ne se contentent pas d’adopter les outils numériques, ils aspirent à les maîtriser en investissant massivement dans l’intelligence artificielle, l’informatique en nuage et les technologies blockchain. Il insiste sur le fait que la coordination entre ministères et l’unification de la vision gouvernementale sont des éléments fondamentaux de la réussite de ces modèles.

Concernant les prochaines étapes pour le Liban, Khoury propose la création d’une cellule de crise placée sous l’autorité d’un ministre délégué, chargée d’élaborer une stratégie nationale pour l’économie numérique, comprenant des initiatives concrètes, des objectifs mesurables et des partenariats efficaces avec le secteur privé. Il appelle également au lancement de ***hackathons pour mobiliser la créativité des talents libanais au pays comme à l’étranger, ainsi qu’au développement de projets à gains rapides comme des portails numériques pour les services publics, la formation des agents publics et des citoyens aux outils d’intelligence artificielle, et l’application de solutions intelligentes dans les infrastructures publiques telles que les aéroports.

Pour le citoyen ordinaire, Khoury définit la transformation numérique comme un moyen de faciliter la vie quotidienne et d’améliorer la qualité des services publics — en permettant l’accès électronique aux services à tout moment, en renforçant la transparence des démarches administratives, en augmentant l'efficacité, en réduisant les coûts, et en favorisant l’inclusion, notamment des personnes en situation de handicap et des habitants des zones reculées.

En conclusion, Khoury estime que l’opportunité est encore à portée de main — à condition que l’État libanais cesse d’hésiter et passe à une mise en œuvre sérieuse. Ce n’est qu’à ce prix qu’il pourra rattraper le rythme mondial de l’innovation et restaurer la confiance du citoyen envers son pays grâce à la transformation numérique.

La transformation numérique au Liban : une vision en suspens

Malgré l’essor technologique mondial, le Liban reste à la traîne sur le plan numérique.

Principaux obstacles

▪️ Absence de volonté politique

▪️ Fragmentation des acteurs concernés

▪️ Infrastructures faibles

▪️ Manque de réformes opérationnelles

Pourquoi l’exécution a échoué

Malgré l’existence de stratégies, de plans et de financements, la volonté politique et une vision unifiée entre ministères ont fait défaut.

Le Liban a du potentiel

▪️ Capital humain hautement qualifié

▪️ Diaspora technologique expérimentée

▪️ Capacité à devenir un hub numérique régional

Premières étapes clés

▪️ Améliorer l’infrastructure télécom

▪️ Mettre en place une identité numérique unifiée

▪️ Créer des portails publics en ligne

▪️ Lancer un système national de paiement numérique


***Un hackathon est un événement où des développeurs et autres professionnels du numérique se réunissent pour travailler ensemble sur un projet informatique ou une solution numérique en un temps limité, souvent un week-end.