Malgré des obstacles juridiques et financiers, le gouvernement libanais reste déterminé à verser l’augmentation mensuelle de salaire aux militaires en service et à la retraite à la fin juillet. Cette mesure découle d’une loi votée par le Parlement, octroyant une allocation mensuelle de 14 millions de livres libanaises aux militaires actifs et 12 millions aux retraités, couvrant environ 200 000 personnes. Mais cet engagement se heurte à un défi financier et économique complexe après l’annulation par le Conseil d’État d’une décision gouvernementale d’imposer une taxe sur les carburants, destinée à générer des recettes directes pour financer ces augmentations.
Un Engagement Constitutionnel Sans Financement Permanent
La décision judiciaire gelant la taxe sur les carburants — prise à la suite d’un recours introduit par le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, et plusieurs syndicats du secteur touristique — a créé un vide budgétaire qui devait être comblé par la nouvelle taxe sur l’essence et le diesel. Cette taxe avait déjà généré plus de 30 millions de dollars avant son annulation, soit précisément le montant requis pour financer les augmentations, selon des sources au ministère des Finances.
Malgré l’absence d’une source de financement durable, l’État insiste pour verser l’allocation, arguant que la loi ne la lie pas aux recettes. Le Fonds monétaire international, toutefois, ne voit pas cette démarche d’un bon œil, insistant sur la nécessité de lier toute augmentation de dépenses à des sources de financement claires, afin d’éviter une répétition de la crise de l’échelle des salaires de 2017, qui avait lourdement grevé le Trésor sans couverture suffisante.
À la Recherche d’Alternatives : L’Essence Paie Encore le Prix
Avec la taxe directe sur les carburants écartée à la suite de la décision du Conseil d’État, le gouvernement envisage désormais une restructuration de cette taxe — en la réduisant sur le diesel et en l’augmentant sur l’essence. L’objectif est d’apaiser les industriels et de réduire le coût des générateurs et du chauffage en hiver. Une taxe à la consommation pouvant atteindre 150 000 LBP par jerrican d’essence pourrait être imposée sans repasser par le Parlement, le gouvernement la considérant comme une décision administrative et non comme une mesure législative — bien qu’elle reste sujette à interprétation juridique et à de nouveaux recours.
L’économiste et expert financier, le Dr Jihad Hoteit, met en garde contre la poursuite par le gouvernement d’une politique de financement temporaire sans sécuriser de revenus durables. « Imposer une taxe à la consommation sur l’essence pour financer les allocations militaires est une solution superficielle qui ne traite pas la racine du problème », affirme-t-il.
« Nous assistons à une réédition de l’épisode de l’échelle des salaires de 2017, lorsque des augmentations ont été accordées sans réformes structurelles — aggravant le déficit et affaiblissant la confiance dans les finances publiques. Un État en faillite ne peut continuer à dépenser à des fins électorales ou populistes sans lier cela à des réformes profondes, comme la récupération des propriétés maritimes publiques et la lutte contre le gaspillage et l’évasion fiscale. »
Entre le Droit et la Réalité : Mauvaise Gestion ou Dépassement Délibéré ?
Il est à noter que, dans ce dossier, le gouvernement — si l’on en juge par de nombreux précédents — pourrait ne pas se conformer aux décisions du Conseil d’État, alors même que l’article 93 de la loi du Conseil impose l’exécution obligatoire de ses arrêts sous peine de responsabilité. L’expert constitutionnel, le Dr Adel Yammine, souligne que la suspension de l’exécution prononcée par le Conseil est contraignante, même si elle est temporaire dans l’attente d’un jugement définitif. Toutefois, il n’existe pas de mécanisme juridique clair imposant une mise en œuvre rapide, ce qui soulève un problème plus profond quant au respect de l’État de droit.
Sur le plan juridique, Yammine précise que la décision du Conseil d’État « est contraignante pour le gouvernement car il s’agit d’une décision judiciaire rendue par une autorité compétente pour examiner les décrets administratifs. »
« Le non-respect de la décision constitue une violation manifeste de l’article 93 de la loi du Conseil d’État et engage la responsabilité juridique et morale de l’administration. Si le gouvernement refuse de se conformer aux décisions de la juridiction administrative, cela sape l’un des piliers de l’État de droit et des institutions. »
Propriétés Maritimes et Portes Closes
Malgré ses options limitées, le gouvernement refuse toujours de recourir à des réformes susceptibles de générer des revenus — telles que la perception des arriérés dus sur les propriétés maritimes occupées illégalement, estimés à des milliards de livres. Ce dossier reste un sujet politiquement sensible que les autorités évitent d’ouvrir. Cette position soulève de sérieuses interrogations sur l’absence de volonté politique de mener de véritables réformes, contrastant avec le recours répété aux poches des citoyens — notamment par la tarification des carburants, qui affecte directement la vie quotidienne des Libanais, y compris des militaires eux-mêmes.
Répétition du Scénario de 2017
Le gouvernement libanais mène actuellement une course contre la montre entre ses obligations légales envers les militaires et la pression du FMI et de la communauté internationale pour garantir une couverture financière équitable. En l’absence de solutions alternatives durables, la crise risque de s’aggraver, à moins que l’État n’ouvre les dossiers longtemps ignorés et n’applique des réformes structurelles capables de restaurer la confiance dans les finances publiques, en s’éloignant des mesures temporaires basées sur la consommation, qui ne font que reproduire les crises.
En juillet, l’augmentation sera versée. Mais la question demeure : qui en paiera le prix ?