Morgan Ortagus, vice-émissaire des États-Unis pour le Moyen-Orient, a récemment affirmé que le recours au Fonds monétaire international (FMI) n’était qu’une option parmi d’autres pour sortir le Liban de sa crise. Dans une interview télévisée, elle a annoncé avoir un « grand plan » qui permettrait d’éviter un recours au FMI, en attirant des investissements étrangers conditionnés à des réformes majeures : lutte contre la corruption, restauration de la confiance dans le secteur bancaire, et confrontation à l’influence du Hezbollah.
Jusqu’à présent, aucun document officiel ne détaille ce « grand plan », ni ne précise la nature des investissements envisagés. Toutefois, certaines fuites médiatiques et analyses permettent d’en esquisser les grands axes (voir graphique 1) :
1- Attirer des investissements étrangers en instaurant un cadre économique, législatif et administratif favorable aux investisseurs internationaux.
2- Mettre en œuvre des réformes économiques, financières, bancaires et judiciaires pour restaurer la confiance dans le système libanais et éliminer l’économie informelle.
3- Combattre la corruption dans les secteurs public et privé – considérée par les investisseurs comme l’obstacle majeur au retour de la confiance.
Illustration 1 : Les éléments clés du plan Ortagus (Source : l’auteur)
4- Assurer la sécurité et la stabilité nécessaires à un environnement propice aux affaires, notamment en limitant la détention d’armes à l’État, en sécurisant la frontière syrienne et en prolongeant le mandat de la FINUL au sud, avec un éventuel déploiement à l’est.
5- Inclure une dimension politique, à savoir la paix avec Israël, à travers un processus en deux étapes : délimitation des frontières terrestres, puis signature d’un traité de paix.
Si cette description s’avère juste, elle révèle la vision américaine du rôle politique et économique du Liban dans la région, notamment depuis le début de l’opération « Déluge d’Al-Aqsa ».
Il convient également de souligner que les conditions strictes du FMI – comme la suppression des dépôts – et les manœuvres des partis politiques à l’approche des élections rendent improbable la conclusion d’un accord avec le FMI à court ou moyen terme.
Chances de succès du plan
Le succès du « Grand Plan » dépendra de plusieurs facteurs étroitement liés :
1- Stabilité politique (facteur interne) : essentielle pour engager la relance économique et mener les réformes. Elle ne peut être garantie qu’à travers un consensus entre les forces politiques sur une vision nationale commune.
2- Stabilité sécuritaire (facteur interne) : indispensable pour instaurer la confiance, tant chez les investisseurs que chez les consommateurs.
3-Volonté et capacité des forces politiques (facteur interne) à appliquer les réformes économiques, judiciaires, financières et monétaires. Sans ces réformes, il est impossible de créer un climat attractif pour les investisseurs.
4- Capacité de l’État à lutter contre la corruption (facteur interne) : pilier de la confiance dans l’économie et ses institutions. Ce point est néanmoins sensible du fait des équilibres confessionnels qui compliquent sa mise en œuvre.
5- Exclusivité des armes aux mains de l’État (facteur interne) : condition incontournable pour les puissances étrangères, notamment les États-Unis. Sans cela, aucun investissement international significatif ne verra le jour.
6- Adhésion de la population (facteur interne) : incertaine, car le plan implique des choix politiques controversés qui ne feront probablement pas consensus.
7- Normalisation avec Israël (facteur régional) : processus en deux étapes – délimitation des frontières puis traité de paix – représentant l’un des objectifs centraux du plan.
8- Stabilité des pays voisins, notamment la Syrie (facteur régional) : le Liban étant économiquement lié à ces pays, une paix régionale est nécessaire à sa relance (commerce, tourisme…).
9- Relations positives avec les pays arabes voisins (facteur régional) : essentielles pour l’équilibre politique et économique du Liban.
10- Soutien des États-Unis (facteur international) : fondamental. L’approbation américaine ouvrirait la voie à un appui économique significatif.
11- Intérêt des investisseurs étrangers (facteur international) : fortement influencé par la position américaine.
12- Contribution des institutions financières internationales et régionales (facteur international) : leur implication dépendra largement du feu vert de Washington.
Les graphiques 2, 3 et 4 montrent que les facteurs ayant le plus grand impact sur la réussite du plan sont la lutte contre la corruption et le monopole des armes par l’État, suivis par la normalisation avec Israël et la stabilité régionale.
Illustration 2 : Impact des facteurs internes sur le succès du plan Ortagus (Source : l’auteur)
Illustration 3 : L’impact des facteurs régionaux sur la réussite du plan Ortagus (Source : l’auteur)
Illustration 4 : L’impact des facteurs internationaux sur la réussite du plan Ortagus (Source : l’auteur)
En conclusion
Les contours du « Grand Plan » restent flous : nature des investissements, secteurs concernés, montants prévisionnels, garanties d’exécution… Mais une chose est sûre : avec l’influence américaine s’étendant désormais sur l’ensemble du Moyen-Orient, il sera difficile pour le Liban de rejeter un plan officiellement porté par Washington – au risque de subir l’isolement, voire une confrontation.