L’envoyée américaine au Moyen-Orient, Morgan Ortagus, a-t-elle tendu une perche de secours aux responsables libanais pour les sortir du puits de la reddition des comptes dans lequel les a plongés l’effondrement économique ?
La question se pose après sa déclaration au Forum économique du Qatar, où elle a affirmé détenir un « plan majeur » susceptible de permettre au Liban d’éviter de recourir au Fonds monétaire international (FMI). « Peut-être, si nous parvenons à transformer le Liban en pays d’investissements, pourrions-nous utiliser l’argent des investisseurs ici, et lui éviter davantage d’endettement », a-t-elle déclaré.
Pourquoi faire appel au FMI ?
Les appels insistants – parfois sincères, parfois opportunistes – à une intervention du FMI n’ont jamais réellement traduit une foi inébranlable dans les miracles du Fonds. L’expérience de nombreux pays, proches ou lointains, a souvent été décevante. Bien souvent, les programmes, censés durer un temps limité, se soldent par un nouvel accord faute d’avoir résolu la crise initiale. Que cela vienne des « recettes » rigides du FMI – assimilables à des listes de contrôle – qui négligent les réalités sociales et économiques de chaque État, ou de l’incapacité de ces derniers à les appliquer, l’intervention du Fonds aggrave parfois les difficultés au lieu de les résoudre.
Les exemples ne manquent pas : Jordanie, Maroc, Argentine, Égypte, Mexique… Tous ont sombré dans un cycle infernal de dettes.
Et l’insistance sur un accord avec le FMI ne visait pas seulement à obtenir les trois milliards de dollars d’aide budgétaire et de soutien à la balance des paiements. Le Liban a dépensé en moins de deux ans quatre fois ce montant en subventions. Il a aussi dilapidé la moitié de ses droits de tirage spéciaux en moins d’un an. Par ailleurs, l’État a enregistré un excédent de plus de sept milliards de dollars au cours des deux dernières années, déposés sur le compte numéro 36 à la Banque du Liban – de quoi se passer d’un prêt du FMI.
L’objectif du recours au FMI n’était pas non plus de protéger les déposants, ni de récupérer les 160 milliards de dollars estimés avoir disparu des banques. La méthode du FMI pour combler le déficit financier impliquerait la suppression d’au moins 60 % des dépôts. Pourtant, en valorisant efficacement ses actifs – fonciers, établissements publics comme Électricité du Liban ou MEA, ou encore à travers l’octroi de licences – le Liban pourrait générer bien plus que les sommes détournées, en bien moins de temps. Mais cela suppose une gestion rigoureuse, la fin des monopoles publics, et une ouverture réelle à la concurrence.
Un ancien directeur au FMI et président de l’Association économique libanaise a d’ailleurs élaboré une étude montrant que la transformation des actifs publics – en modernisant et convertissant les établissements publics en sociétés anonymes cotées en bourse – permettrait de rembourser l’ensemble des dépôts bancaires, tout en stimulant la croissance et le développement durable.
Urgence de la réforme
Pour une partie des Libanais, en dehors des cercles de la classe dirigeante, le recours au FMI représentait un « remède de dernier recours ». Incapables de faire tomber les responsables de la crise, de rapatrier les fonds détournés, ou de rendre justice aux déposants, ils espéraient que le FMI imposerait les réformes qu’ils ne pouvaient arracher par eux-mêmes – notamment dans les secteurs bancaire, public et fiscal.
Jusqu’à la récente déclaration d’Ortagus, tout indiquait que le Liban resterait financièrement isolé : aucune aide pour reconstruire après la guerre israélienne, aucun gaz égyptien, aucune électricité jordanienne, aucun pétrole irakien, aucune aide sociale significative… sans un accord préalable avec le FMI.
Un tel accord nécessite de nombreuses réformes : levée du secret bancaire, restructuration du secteur bancaire, répartition équitable des pertes, réforme de l’administration publique, création des autorités de régulation de l’aviation, de l’énergie et des télécoms, nominations dans les institutions d’achat public et à la Commission nationale anticorruption, application de douze lois anticorruption adoptées depuis 2008 mais jamais mises en œuvre…
Le Liban dispose de ressources internes pour se relever. Mais la population doute que le système en place accepte de se tirer une balle dans le pied en menant des réformes qui l’excluraient du contrôle de l’État et l’empêcheraient de continuer à acheter des loyautés politiques – sauf pression extérieure.
Contourner le FMI ?
Éviter le FMI signifierait aussi éviter la restructuration des banques, laissant les établissements fautifs s’en sortir sans rendre de comptes, voire sans être inquiétés, alors que certains pourraient faire face à la fermeture ou à des poursuites judiciaires.
Pour beaucoup de Libanais, le recours au FMI incarnait l’unique chance d’empêcher la mise en œuvre de la stratégie bien connue du « pardonner et oublier », souvent utilisée dans le pays pour sortir des crises – y compris la guerre civile.
Mais la « corde » tendue par Ortagus, dans l’obscurité de l’effondrement, n’a pour l’instant révélé que son extrémité recourbée. Impossible de savoir si elle servira à sortir le Liban du puits ou à couper la voie du salut. Les conditions de ce « plan alternatif » – s’il s’agit de critères économiques et réformateurs ou de considérations politiques et sécuritaires – restent floues.
Dans le premier cas, attirer les investissements exigerait exactement les mêmes réformes que celles demandées par le FMI : restaurer la confiance dans le système bancaire, garantir l’indépendance et l’efficacité de la justice, assurer des infrastructures fiables (électricité, télécoms, transports), et établir un système fiscal équitable. Sans cela, les investissements seront éphémères. Le Liban se débarrasserait alors du FMI seulement sur le papier.
Dans le second cas – s’il s’agit de concessions politiques ou d’autres arrangements –, le « sauvetage » ne serait qu’un répit. Il viendrait accompagné de ciseaux prêts à couper la corde, laissant le pays et son peuple retomber au fond du puits… alors qu’ils commençaient à en voir la sortie.