Les jours qui ont suivi la tournée historique du président américain Donald Trump dans trois pays du Golfe ont suscité une multitude d’analyses – parfois convergentes, souvent contradictoires – accompagnées de paris dont la justesse variait selon les perspectives et les espoirs de chaque camp.
À observer la manière dont Téhéran et ses alliés, notamment au Liban, ont interprété les résultats de cette visite, on constate qu’ils y voient un changement d’orientation de la politique américaine. À leurs yeux, cette nouvelle approche diverge, ou du moins se distingue, de la rhétorique adoptée par Trump au début de son mandat à propos des crises régionales et des positions fermes qu’il avait alors affichées.
Dans cette lecture, Trump se serait engagé dans des marchandages politiques et aurait accepté certains reculs afin d’obtenir des gains financiers et économiques, notamment à travers des promesses d’investissements de plusieurs milliards de dollars.
Parmi les concessions les plus notables, selon eux : son silence sur les missiles balistiques iraniens et l’influence régionale de Téhéran, son ignorance du projet controversé visant à transformer Gaza en « Riviera » après le déplacement de ses habitants, et son allègement de la pression exercée sur l’Arabie saoudite et d’autres États arabes pour accélérer les accords d’Abraham. Ils évoquent aussi son apparente complaisance envers la demande saoudienne de lever les sanctions contre la Syrie.
Ils s’attardent également sur le désaccord public entre Trump et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou au sujet de la poursuite de la guerre à Gaza et des frappes contre les installations nucléaires iraniennes. À cela s’ajoute la condamnation croissante de l’Europe face aux massacres, aux déplacements forcés et à la famine imposés à Gaza par Israël, ainsi que l’attitude de plus en plus affirmée du Royaume-Uni et de la France, que ces observateurs interprètent comme des signes d’un assentiment tacite de Washington envers les critiques visant Netanyahou.
Il ne fait aucun doute qu’il existe des signes de divergence – voire de contradictions – entre les puissances occidentales et le gouvernement israélien. Mais ce fossé mènera-t-il à une pression américano-européenne suffisante pour infléchir le cours des événements ou rééquilibrer les rapports de force, notamment après l’« Inondation d’Al-Aqsa » et la « Guerre d’appui » qui en a découlé au Liban, et qui ont penché en faveur d’Israël ?
Téhéran mise sur ce désaccord. Elle conditionne son retour à la cinquième session de négociations avec Washington à l’issue de cette divergence, une posture qui se reflète dans l’attitude actuelle du Hezbollah. Ce dernier semble encouragé à temporiser et à différer la remise de ses armes à l’État libanais, transformant le « dialogue sur les armes » en simple slogan pour gagner du temps.
Cependant, ce pari iranien – relayé par ses relais régionaux – se heurte à des signaux contraires confirmant la fermeté des États-Unis et de l’Occident sur deux dossiers majeurs : le nucléaire iranien et l’influence régionale de Téhéran. Le plus clair de ces signaux est l’insistance de Trump sur l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium iranien à un niveau permettant la fabrication de l’arme nucléaire – voire l’arrêt total de l’enrichissement, même à des fins civiles. Une position qui va à l’encontre de la déclaration du ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, selon laquelle l’Iran poursuivrait l’enrichissement « avec ou sans accord ».
Autre signal fort : la détermination des envoyés de Trump à empêcher l’enrichissement et à faire du désarmement du Hezbollah une priorité. Trump lui-même avait accusé, lors de son discours à Riyad, ce parti d’être responsable de l’effondrement du Liban.
L’envoyée spéciale de Trump au Liban et en Israël, Morgan Ortagus, a d’ailleurs été très explicite à la veille de sa troisième visite prévue à Beyrouth. Elle a appelé au désarmement total du Hezbollah sur l’ensemble du territoire libanais – et non seulement au sud du Litani – tout en soulignant que le Liban devait encore « faire beaucoup », même s’il avait « accompli en six mois ce qui n’avait pas été réalisé en quinze ans ».
Dans la même veine, le président de la commission des affaires étrangères du Sénat américain, Jim Risch, a déclaré au journal Asharq Al-Awsat qu’il fallait « affaiblir l’emprise du Hezbollah et s’en débarrasser définitivement », affirmant son soutien à l’armée libanaise pour qu’elle étende son autorité sur l’ensemble du territoire.
En somme, les signes que Téhéran et ses alliés prennent pour des indicateurs d’un renversement géopolitique à leur avantage relèvent davantage de la politique des vœux pieux que de la réalité – l’équivalent d’« acheter du poisson encore dans la mer ». Sur le terrain politique et militaire, les faits confirment que la stratégie américano-euro-arabe reste centrée sur un triptyque : stabilité, investissement et prospérité, marquant ainsi une rupture avec les logiques de guerre.
Cette stratégie place l’Iran non pas en acteur fondateur du nouvel ordre régional – comme peuvent l’être l’Arabie saoudite, le Conseil de coopération du Golfe et la majorité des pays arabes – mais en acteur contraint de suivre le mouvement, après avoir perdu l’initiative et la capacité d’imposer ses conditions. Son influence régionale devrait donc se réduire, la ramenant à ses frontières en tant qu’État national, privé de ses ambitions nucléaires et de ses ramifications extérieures.