Après des années d’obscurité sur les plans financier et économique, le moindre signe d’amélioration attire notre intérêt comme avec un aimant. Les récents indicateurs économiques laissent entrevoir des évolutions positives — pas nécessairement majeures, stables ou durables, mais tout de même significatives. Ces évolutions ressemblent aux ronds sur l’eau des réformes dans les eaux troubles de l’économie libanaise. Plus la réforme est lourde, plus les ronds s’élargissent et durent.
Au cours de la troisième semaine de mai, trois changements notables ont été observés :
- Une hausse à un chiffre de l’indice des prix à la consommation (IPC)
- Un rebond des prix des eurobonds sur les marchés internationaux
- Le Liban en tête du classement régional de l’indice mondial de diversification économique
- L’indice des prix à la consommation ralentit — mais reste élevé
Même si l’IPC continue de progresser, le rythme semble ralentir : en mars, il est passé à 9,7 %, selon la Consultation and Research Institute. Huit des neuf principales composantes ont enregistré une hausse. La catégorie « Biens et services divers » a connu la plus forte augmentation, avec 39,1 %, suivie de l’Éducation (+30,5 %), de la Santé (+12,2 %), de l’Alimentation et des boissons (+10,6 %), et des Loisirs (+6,4 %). Seule la catégorie « Vêtements » a reculé, de 10,2 %.
Les eurobonds libanais rebondissent légèrement sur fond d’optimisme
Les prix des euro-obligations libanaises ont enregistré une légère hausse, atteignant 17,15 cents par dollar contre 16,5 cents la semaine précédente. Cette progression — d’environ 3,5 % — fait suite à la levée de l’interdiction de voyage vers le Liban décidée par les Émirats arabes unis, et reflète un regain de confiance chez les investisseurs. Certains parient que le Liban pourrait finir par conclure un accord avec le FMI, accord qui nécessiterait un plan crédible de restructuration de la dette publique.
Le Liban en tête de l’indice de la diversification économique
À l’échelle régionale, le Liban s’est hissé à la première place de l’indice mondial de diversification économique, et à la 41e place au niveau mondial. Cet indice, qui mesure depuis 2000 l’évolution de la diversification des économies à partir de données publiques, souligne l’importance d’adopter des politiques visant à réduire les vulnérabilités économiques, à atténuer les risques liés au commerce et à soutenir une croissance durable.
Des améliorations de façade, préviennent les experts
Pour Sami Atallah, directeur fondateur de The Policy Initiative et chef du département de recherche, ces récentes améliorations sont avant tout basées sur des spéculations d’investisseurs, et non sur des données concrètes. » Il rappelle que « tant qu’aucune législation sérieuse ne sera mise en œuvre pour restructurer le secteur bancaire et combler le déficit financier, les améliorations — qu’elles soient macro ou microéconomiques — resteront superficielles, temporaires et vulnérables. »
S’il est vrai que le Liban exporte vers plus de 170 marchés, Atallah insiste : « une véritable relance passe par un secteur bancaire sain. Sans cela, la production et les exportations resteront limitées. » Il estime donc qu’il est prématuré de dire que le Liban a dépassé la phase critique de sa crise économique.
Une inflation en dollars qui inquiète
L’économiste Kamal Hamdan, directeur exécutif de la Consultation and Research Institute, s’étonne du maintien de l’inflation à 9,7 %, malgré la stabilité du taux de change autour de 89 500 livres libanaises pour un dollar depuis mars 2023. Selon lui, cela traduit une « inflation en dollars » liée à l’absence de pressions syndicales et de protection des consommateurs. Il souligne que la hausse continue des prix résulte soit d’une volonté de certains secteurs (comme la santé et l’éducation) de compenser les pertes accumulées durant la crise, soit du maintien de pratiques monopolistiques — voire des deux à la fois.
Le calme après la tempête ?
« Le climat économique actuel ressemble au calme qui suit une tempête », analyse le professeur en économie politique Pierre Khoury. « Certains indicateurs semblent positifs, mais ils ne traduisent pas un véritable rétablissement : il s’agit d’un apaisement temporaire, pas d’une guérison. » Selon lui, la hausse des eurobonds reflète surtout « les paris des investisseurs sur d’éventuelles négociations futures avec le FMI, ou un accord sur la dette — mais pas une amélioration réelle des finances publiques. » Tant que ces signaux ne sont pas accompagnés de réformes concrètes, ils resteront fragiles.
Même le classement du Liban en matière de diversification économique « doit être interprété avec prudence », ajoute-t-il.
Quelles solutions?
Pour le professeur Khoury, il faut des réformes structurelles à tous les niveaux. Il cite notamment :
- Réforme financière : Repenser la gestion des dépenses publiques, réduire le gaspillage et assurer une fiscalité équitable.
- Politique monétaire : Garantir l’indépendance de la Banque centrale et instaurer un marché des changes transparent.
- Réforme bancaire : Restructurer les banques de manière à rétablir la confiance des déposants et des investisseurs.
- Politique commerciale : Stimuler la production locale et encourager les secteurs générateurs de devises étrangères.
Une réforme politique indispensable
Mais l’économie ne peut se redresser sans une réforme de l’appareil étatique lui-même, souligne Khoury. « Aucune croissance durable n’est possible avec une administration corrompue ou une justice politisée. » Il appelle à la transparence dans les marchés publics, à un contrôle effectif, et à une justice indépendante. L’infrastructure est également un enjeu central : « pas de croissance sans électricité, sans transports efficaces ni internet rapide. » Des investissements stratégiques sont nécessaires, en partenariat avec le secteur privé, mais dans un cadre réglementaire strict qui protège les fonds publics.
En fin de compte, le redressement du Liban dépend d’une stabilité politique, sécuritaire et judiciaire capable d’attirer les investisseurs. Les réformes doivent être concrètes, pas seulement annoncées dans des discours. Car aucun investisseur, libanais ou étranger, ne placera son argent dans un pays miné par les conflits et les incertitudes. Attirer les investissements implique de fournir de vraies garanties — pas de simples paroles.