Le Liban et la Syrie semblent s’engager sur la voie d’une nouvelle phase dans leurs relations bilatérales — une phase bien différente de l’époque de la « tutelle » syrienne qui a dominé le Liban pendant des décennies. Sous la direction d’Ahmad Al-Sharaa, à la tête de la transition syrienne, les deux pays posent les bases d’un rapport fondé sur la souveraineté mutuelle et l’égalité, loin de toute forme d’hégémonie.
Les déclarations émanant des deux capitales insistent régulièrement sur ces principes. Al-Sharaa a affirmé à plusieurs reprises que la Syrie « n’interférera pas négativement au Liban ». Cette prise de position intervient alors que les anciennes structures qui encadraient les relations syro-libanaises ont été démantelées. Parmi elles, le « Conseil supérieur syro-libanais » et le « Comité de suivi et de coordination », issus du Traité de fraternité, de coopération et de coordination signé en 1991 par les présidents Hafez el-Assad et Elias Hraoui. Beaucoup considèrent aujourd’hui ces instances comme des instruments de la domination syrienne passée.
Les échanges diplomatiques récents, notamment la visite du Premier ministre libanais Nawaf Salam à Damas, accompagné de plusieurs ministres, ont porté sur des dossiers pratiques tels que le contrôle des frontières et la lutte contre le trafic de drogue et d’armes. Ces rencontres n’ont, jusqu’à présent, révélé aucune tentative directe de la Syrie d’imposer sa ligne politique.
Dans cette dynamique naissante, l’Arabie saoudite joue un rôle de supervision majeur. Riyad a récemment accueilli une rencontre entre les ministres de la Défense des deux pays et mène une médiation active via le prince Yazid ben Farhan, en charge du dossier libanais. Ses déplacements à Beyrouth et Damas visaient à garantir que les relations syro-libanaises respectent les résolutions internationales, notamment les résolutions 1701 et 1559 du Conseil de sécurité de l’ONU.
Dans le même temps, la France, avec l’aval supposé de Washington, est revenue dans le jeu syrien. Al-Sharaa a été reçu récemment à l’Élysée, où les autorités françaises ont exprimé leur soutien conditionnel à la stabilité de la « nouvelle Syrie ». Parmi les conditions posées : la délimitation des frontières avec le Liban et l’engagement que ni la Syrie ni le Liban ne représentent une menace l’un pour l’autre. Des observateurs y voient un garde-fou contre toute velléité d’emprise future de Damas sur Beyrouth.
À la suite d’une rencontre entre le président français Emmanuel Macron et le président libanais Joseph Aoun, Paris a remis à Beyrouth des cartes historiques des frontières syro-libanaises datant du mandat français, afin de relancer le processus de démarcation, de la région des fermes de Chebaa au sud jusqu’à Akkar au nord. Le tracé des frontières reste un dossier épineux, tout comme la question du retour des réfugiés syriens présents au Liban. Al-Sharaa a d’ailleurs lié implicitement ce retour à la restitution des dépôts syriens bloqués dans les banques libanaises.
Même si ces dossiers sensibles risquent d’alimenter des tensions, aucun signal concret ne laisse présager une restauration de la tutelle syrienne. Pourtant, certains cercles libanais commencent à exprimer leurs inquiétudes face à une dépendance économique croissante, notamment en raison du besoin libanais d’importer de l’électricité via la Syrie — une situation qui pourrait ouvrir la voie à une forme de pression économique, malgré les assurances d’Al-Sharaa que la coopération se fera dans le cadre d’accords juridiques bien définis.
Le rééquilibrage apparent de la Syrie vis-à-vis de l’Iran, au profit d’une réintégration régionale, pourrait également limiter les risques d’un retour de la tutelle. Al-Sharaa avait d’ailleurs déclaré que « l’Iran n’a apporté à la région que les armes et la guerre », signe d’une volonté de reconfigurer les alliances de Damas.
Si rien n’indique un retour pur et simple à l’ancienne forme de tutelle syrienne, la situation reste complexe. Les relations évoluent au gré d’intérêts partagés et de pressions internationales visant à sécuriser la frontière et stabiliser la région. Les défis persistants — crise des réfugiés, sécurité frontalière — continuent toutefois d’alimenter les craintes d’une nouvelle forme d’influence syrienne, sans qu’il s’agisse d’une domination totale.
Symptomatique de cette ambiguïté, une personnalité arabe influente aurait confié à un responsable américain : « Le Liban ne nous intéresse pas. C’est une source de tracas. Les Libanais sont habitués à vivre sous tutelle. Le mieux serait de les replacer sous la tutelle syrienne. »
La récente visite de Nawaf Salam à Damas et sa rencontre avec Al-Sharaa visaient à poser les jalons d’un nouveau cadre relationnel. Mais les résultats restent flous et laissent place à plusieurs scénarios possibles.
Voici les principaux points à retenir de cet échange :
- La Syrie rejette toute démarcation unilatérale de la frontière avec le Liban. Elle souhaite une démarcation globale avec l’ensemble de ses voisins : Liban, Chypre, Turquie, Irak et Jordanie.
- Le retour des réfugiés syriens est conditionné par la reprise économique syrienne et la levée des sanctions américaines du « Caesar Act ». La priorité est, pour l’instant, donnée à la résolution de la crise des déplacés internes en Syrie.
- Si Damas reste attachée aux accords bilatéraux passés avec le Liban, leur réactivation ou leur actualisation n’est pas à l’ordre du jour.
- La Syrie veut renforcer le contrôle de sa frontière avec le Liban et affirme avoir des engagements sécuritaires concernant l’un de ses voisins, en l’occurrence Israël.
Aucun accord n’a été trouvé au sujet des détenus syriens au Liban. Al-Sharaa a néanmoins exprimé son inquiétude concernant des membres de l’ancien régime réfugiés au Liban, dont il demande l’extradition. En retour, le Premier ministre libanais a réclamé la remise des responsables des assassinats de Kamal Joumblatt et de Bachir Gemayel.
Des sources bien informées estiment que certains acteurs occidentaux appuient discrètement un retour du rôle syrien au Liban, dans l’objectif de réduire l’influence du Hezbollah. Parallèlement, des événements survenus à Jaramana, Sahnaya et ailleurs sont perçus comme des tentatives israéliennes de séduire certaines minorités syriennes, dans l’espoir de redessiner la carte intérieure du pays et d’en favoriser l’éclatement.
En définitive, si l’ombre de la tutelle plane toujours, la conjoncture régionale actuelle — et les ambitions affichées du nouveau leadership syrien — semblent dessiner une relation plus équilibrée, mais encore fragile, entre les deux pays voisins.