La montagne a accouché d’une souris. La Commission de l’indice a finalement produit une hausse « déformée » du salaire minimum. Une naissance difficile, orchestrée par le ministère du Travail, après l’échec des employeurs et des syndicats à parvenir à un accord naturel. Le ministère a donc pris les devants, s’engageant à proposer au Conseil des ministres le chiffre maximal accepté par les organisations économiques, soit 27 millions de livres libanaises, auquel il a ajouté « symboliquement » un million supplémentaire, espérant une approbation rapide.

Le ministre du Travail a ainsi décidé de soumettre au Conseil des ministres un plan incluant :

- L’augmentation du salaire minimum de 18 à 28 millions de livres ;

- Le doublement des allocations familiales ;

- Une augmentation de deux fois et demie des aides scolaires ;

- Le maintien de l’indemnité de transport quotidienne fixée à 450 000 livres.

- La marginalisation de la Commission de l’indice

Outre le fait que cette augmentation reste bien inférieure au coût de la vie et n’assure aucune retraite décente, elle souffre de multiples déséquilibres. En premier lieu, la décision unilatérale du ministère du Travail, sous prétexte d’urgence et d’équité, a court-circuité les négociations, signant pratiquement l’arrêt de mort moral de la Commission de l’indice.

Cette instance tripartite, créée par le décret 4206 de 1981, est censée étudier la politique salariale et formuler des recommandations pour lutter contre la vie chère. Elle fonctionne sur la base d’un consensus entre employeurs et travailleurs, assistés par des experts. Même si son rôle est consultatif, il reste fondamental. Son affaiblissement a commencé avec le retrait de l’expert de l’International Information, Mohammad Chamseddine, dénonçant des chiffres « préfabriqués ». Puis l’Union des travailleurs s’est retirée à son tour, refusant des propositions qu’elle jugeait incohérentes. Le coup de grâce a été porté par le ministre lui-même, qui a tranché en faveur des employeurs, ignorant les objections des syndicats et des experts.

Il est à noter que cette augmentation de 50 % du salaire minimum ne couvre même pas les factures d’électricité, d’eau et de télécommunications. Elle pourrait même être annulée si les employeurs réduisent d’autant leurs contributions sociales.

Une hausse sans prise en compte du coût de la vie

Cette revalorisation salariale ne tient pas compte des échelons ni de l’inflation. Selon Bechara Asmar, président de l’Union générale des travailleurs libanais, cette approche est « inacceptable » car elle nie toute justice sociale, perturbe la hiérarchie salariale et prive de nombreux travailleurs du secteur privé et public de toute augmentation.

Bien que l’Union ait revu à la baisse sa revendication, de 90 à 50 millions de livres, en raison de la situation actuelle, elle dénonce un accord préalable entre le ministre et les employeurs sur le montant de 27 millions, porté à 28 millions par le ministre. Un montant qui ne répond ni aux attentes de l’Union ni aux besoins de 450 000 salariés régis par le Code du travail.

Les ajustements complémentaires — allocations familiales, aides scolaires et indemnités de transport — sont jugés dérisoires. Les propositions d’augmenter de 50 000 à 100 000 livres l’indemnité de transport ou de multiplier par cinq les aides scolaires (jusqu’à 20 millions dans le public, 60 millions dans le privé) ont été rejetées, bien que même une telle augmentation reste 70 % inférieure aux frais de scolarité pratiqués.

La position des employeurs

Le refus des employeurs d’un salaire minimum à 50 millions ou plus repose sur deux raisons principales, selon un patron ayant requis l’anonymat :

- La majorité des petites entreprises, surtout en dehors de Beyrouth et du Mont-Liban, ne peut supporter une telle charge. Même celles qui versent déjà des aides sociales en dollars seraient contraintes de licencier ou de fermer boutique.

- Une hausse du salaire minimum oblige à déclarer un montant supérieur à la Caisse nationale de sécurité sociale, ce qui alourdit considérablement les indemnités de fin de service, calculées sur le dernier salaire multiplié par les années de service. Cela pourrait pousser certains employeurs à cesser de déclarer leurs salariés, ou à supprimer les aides sociales versées hors bulletin de paie.

Une économie en croissance, malgré les arguments patronaux

Les organisations économiques avancent que les entreprises de Beyrouth et du Mont-Liban ne sont pas comparables à celles du Sud, du Nord ou de la Bekaa. Mais Bechara Asmar rétorque que le nombre d’industries enregistrées au ministère a augmenté de 25 % récemment. Et selon les chiffres de la CNSS, les pertes nettes en emplois entre 2019 et 2025 sont restées entre 15 000 et 18 000 postes. Ces données ne reflètent pas une crise structurelle, d’autant que nombre d’entreprises ont réalisé des bénéfices considérables grâce aux subventions et au remboursement de prêts en monnaie dépréciée via la plateforme Sayrafa. On estime que plus de 45 milliards de dollars ont ainsi été détournés au profit d’entreprises disposant de liquidités en livres leur permettant d’importer, de stocker et de spéculer.

Les retraités en détresse

Cette hausse à 28 millions de livres devient un cauchemar pour les retraités affiliés à la CNSS. Ceux qui ont quitté le marché du travail entre 2019 et 2024 n’ont touché que des indemnités dérisoires équivalant à quelques centaines de dollars. Ils doivent pourtant continuer à payer 9 % du salaire minimum en cotisations, soit désormais 2,52 millions de livres par mois, contre 1,62 million auparavant. Une somme impossible à assumer pour des retraités ayant perçu, au mieux, 50 millions de livres à un taux de change variant de 7 000 à 100 000 livres pour un dollar.

Un décret imposé d’en haut

Le nouveau salaire minimum est tombé comme un décret imposé. Le désaveu de l’Union des travailleurs n’enlève rien à la responsabilité collective. L’heure n’est plus aux protestations symboliques, mais à l’action concertée. La priorité doit être de restaurer une croissance réelle, de combattre les monopoles et la corruption. C’est alors que les revenus augmenteront naturellement, poussés par la loi de l’offre et de la demande — et non par des faveurs politiques. Tel doit être l’objectif fondamental.