Ce mercredi 7 mai pourrait marquer un tournant décisif dans la normalisation des relations économiques entre le Liban et les Émirats arabes unis, ainsi qu’avec les pays du Golfe en général. Quelques jours après la visite du commandant de l’armée libanaise, Joseph Aoun, à Abou Dhabi, les Émirats ont annoncé la levée de l’interdiction de voyage pour leurs ressortissants vers le Liban, à compter du 7 mai. Cette décision fait suite à une directive du président émirati, le cheikh Mohammed ben Zayed Al Nahyane, et s’inscrit dans le cadre du renforcement des liens fraternels entre les deux pays.

La levée de l’interdiction, en place depuis le 31 octobre 2021, n’est pas anodine. Elle avait été imposée en solidarité avec l’Arabie saoudite, après les propos jugés offensants de l’ancien ministre libanais de l’Information, Georges Kordahi, sur la guerre au Yémen. Cette mesure avait contribué à éloigner les soutiens, investissements et aides arabes du Liban pendant des années.

Les conséquences économiques du boycott

Trois pays du Golfe – les Émirats, Bahreïn et le Koweït – avaient rejoint l’Arabie saoudite dans l’escalade diplomatique et commerciale contre le Liban. Ce gel des relations a entraîné de lourdes conséquences économiques :

- Effondrement des exportations libanaises vers ces pays, atteignant quasiment zéro avec l’Arabie saoudite ;

- Interdiction de transit terrestre des produits libanais via l’Arabie vers le reste du Golfe, augmentant les coûts logistiques et les délais d’acheminement maritime ;

- Chute drastique du nombre de touristes du Golfe, pourtant les plus dépensiers au Liban ;

- Gel des investissements en provenance du Golfe ;

- Délivrance difficile des visas de travail et de visite aux Libanais ;

- Réduction significative du soutien financier et des aides au Liban, en pleine crise ;

- Perte directe et indirecte de milliards de dollars pour l’économie libanaise.

- Les touristes du Golfe, moteurs de l’économie libanaise

- Les touristes émiratis sont parmi les plus dépensiers au Liban. En 2016, selon un rapport de l’agence publique IDAL, ils représentaient 14 % des dépenses touristiques totales, devant les Saoudiens (13 %) et les Égyptiens (6 %). Leur budget quotidien moyen varie entre 1 000 et 1 500 dollars, certains pouvant aller jusqu’à 5 000 dollars. Ils privilégient les suites de luxe, les voitures haut de gamme, les restaurants, les clubs, les stations balnéaires et de montagne, ainsi que l’organisation d’événements fastueux.

Un espoir de relance pour le secteur touristique

Une relance du tourisme, avec des recettes comparables à celles de 2011 (près de 11 milliards de dollars), pourrait faire passer sa contribution au PIB de 12 % à plus de 20 %. « Plus encore que les chiffres, c’est la symbolique du retour du Liban dans le giron arabe qui compte », souligne Pierre Achkar, président de la Fédération des syndicats touristiques. Il salue l’initiative émiratie comme un premier pas vers un Liban prospère. D’autres pays du Golfe pourraient suivre cet exemple.

Tous les regards sont désormais tournés vers l’Arabie saoudite, qui pourrait à son tour lever ses restrictions. D’autant que les touristes saoudiens sont plus nombreux que les Émiratis. Mais le défi est de taille pour un secteur touristique épuisé par la crise. « Nous avons nos propres générateurs, nous achetons l’eau, et nous gérons la logistique malgré la hausse des coûts », explique Achkar. « Comme nous avons tenu bon durant les pires moments, nous pourrons rebondir et offrir à nouveau les meilleurs services, malgré la faiblesse des infrastructures publiques. » Le Liban a prouvé sa capacité à se redresser rapidement, en dépit des épreuves.

Des attentes en matière d’investissements

La décision émiratie redonne espoir aux entrepreneurs libanais. « Nous espérons un retour des investissements à tous les niveaux », déclare Charbel Jaha, président du Conseil des affaires libanais à Dubaï et dans le nord des Émirats. Il appelle à des réformes urgentes contre le gaspillage et la corruption, et à une meilleure gestion publique pour favoriser les relations économiques entre le Liban et le monde arabe.

Des réformes économiques nécessaires

Pour tirer pleinement parti de cette opportunité, le Liban doit s’atteler sérieusement aux réformes. Cela va au-delà de la bonne gouvernance : il faut aussi s’attaquer aux problèmes économiques. Le coût élevé des voyages (lié à la situation du secteur aérien), l’augmentation des coûts de production et la faiblesse des services nuisent à l’attractivité du pays, d’autant plus que des destinations voisines – comme Charm el-Cheikh, Chypre-Nord ou la côte turque – proposent de meilleures offres.

Un déséquilibre commercial préoccupant

Sur le plan commercial, le déséquilibre entre les exportations et les importations avec les pays arabes compromet les efforts de normalisation. Selon le « Guide des exportations et des entreprises industrielles libanaises », le déficit commercial du Liban avec 21 pays arabes a atteint 8,73 milliards de dollars entre 2016 et mars 2025. Avec les Émirats seuls, ce déficit dépasse 1 milliard de dollars : 5,5 milliards d’importations contre 4,5 milliards d’exportations. Un rééquilibrage est possible en réduisant les coûts de production, en modérant taxes et impôts, en luttant contre l’économie informelle qui absorbe plus de 50 % des ressources, et en stimulant l’industrie locale.

Le Liban ne doit pas rater sa chance

L’affection constante que témoignent les Émirats envers le Liban mérite une réponse responsable. Les relations entre États ressemblent à ce proverbe populaire : « Je t’aime, mon bracelet, mais pas plus que mon bras. » Aussi fort soit l’attachement au Liban, il ne peut l’emporter sur les intérêts stratégiques des pays amis.