Les efforts visant à réduire la pauvreté mondiale échouent de manière dramatique. À chaque fois que les pays et les organisations internationales progressent dans la lutte contre l'une des « plaies » sociales et économiques les plus dangereuses, les conflits militaires et les politiques financières et commerciales agressives les ramènent en arrière. Bien que les Nations unies aient fixé à 2030 l’échéance pour éradiquer la pauvreté — l’un des 17 Objectifs de développement durable —, la Banque mondiale a reconnu en 2024 que cet objectif pourrait prendre plus d’un siècle à atteindre au rythme lent actuel.

Aujourd'hui, la moitié de la population mondiale — environ 4 milliards de personnes — vit au niveau ou juste au-dessus du seuil de pauvreté, que la Banque mondiale définit comme moins de 6,85 dollars par jour. Pendant ce temps, rien qu’en 2024, les dépenses militaires mondiales ont grimpé à environ 2 720 milliards de dollars. Selon un rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), publié par Asharq Al-Awsat, les dépenses militaires ont augmenté de 9,4 % par rapport à 2023, enregistrant ainsi la plus forte hausse annuelle depuis la fin de la guerre froide.

Course à l’armement et pauvreté : une relation à double sens

La relation entre militarisation et pauvreté est fondamentalement inverse pour deux raisons principales. D’une part, l’augmentation des dépenses militaires détourne des fonds essentiels à la santé, à l’éducation et aux dispositifs de protection sociale. D’autre part, la montée en puissance militaire annonce souvent l’intensification des guerres et des conflits, moteurs majeurs de la pauvreté.

Ce qui est particulièrement alarmant, c’est que la hausse des dépenses militaires ne se limite pas aux zones de conflit comme la Russie et l’Ukraine ou aux superpuissances comme les États-Unis. Plus de 100 pays ont augmenté leurs budgets de défense en 2024.

Cette escalade se produit alors que les progrès dans la lutte contre la pauvreté restent timides. Ainsi, la Russie a consacré environ 149 milliards de dollars à ses forces armées en 2024, soit une hausse de 38 % par rapport à 2023 et le double de son niveau de 2015. Parallèlement, 8,5 % des Russes (soit environ 13 millions de personnes) vivent sous le seuil de pauvreté. Bien que les statistiques officielles indiquent une légère baisse du taux de pauvreté par rapport à 2023 (10,5 %), les dépenses militaires représentent désormais 19 % du budget de l’État.

Aux États-Unis, où le taux de pauvreté avoisine les 11 %, les dépenses militaires ont atteint 1 000 milliards de dollars en 2024, soit 37 % des dépenses mondiales en matière de défense.

Les guerres commerciales, un danger tout aussi grave

« Donner la priorité à la sécurité militaire se fait souvent au détriment d’autres secteurs budgétaires », souligne le SIPRI dans son rapport. La lutte contre la pauvreté est l’un de ces secteurs, en concurrence avec les 16 autres Objectifs de développement durable, explique Suhad Abou Zaki, économiste agricole et conseillère en subventions et recherches auprès de l’Association des Entrepreneurs Ruraux.

Abou Zaki avertit que l’aggravation des conflits militaires, l’escalade des guerres commerciales et l'accélération des changements climatiques réduisent collectivement les dépenses sociales, compliquant davantage l’atteinte des objectifs de réduction de la pauvreté.

Guerres climatiques

Les engagements des pays à réaliser les Objectifs de développement durable, notamment l'éradication de la pauvreté, sont de plus en plus compromis par la baisse des dépenses consacrées au climat et par l'augmentation des budgets de défense. Le retrait des États-Unis de l'Accord de Paris sur le climat, par exemple, a eu un impact négatif sur la sécurité alimentaire mondiale et les niveaux de pauvreté. La réduction des investissements dans le développement durable ne fera qu'aggraver la situation.

L'essor inquiétant des dépenses militaires

Malgré les discours sur la paix, « le monde se dirige vers plus d’armements et plus de guerres », affirme le général de brigade à la retraite Naji Malaeb. Il cite des rapports internationaux indiquant une reprise des exportations d'armes après une période de stagnation relative entre 2010 et 2019.

Selon Malaeb, des changements majeurs sont observés parmi les plus grands importateurs d'armes. L'Allemagne prévoit par exemple d'investir environ 400 milliards d'euros pour réarmer son armée et continuer de soutenir l'Ukraine. Le Japon a récemment dévoilé une stratégie de défense sur cinq ans, engageant près de 800 milliards d'euros pour renforcer son arsenal militaire. L’Europe dans son ensemble prévoit également d'importantes initiatives de réarmement.

Cette flambée des dépenses militaires ne touche pas seulement les zones de conflit ou les pays riches. Les pays arabes figurent aussi parmi les plus gros importateurs d’armes entre 2020 et 2024, avec le Qatar, l'Arabie saoudite, l'Égypte et le Koweït parmi les dix premiers au niveau mondial.

Économiquement, « ce modèle pousse d'autres nations à consacrer des budgets énormes à la défense, au détriment du développement », explique Malaeb. « Cela affaiblit aussi les institutions internationales, transformant des organisations comme l'ONU en simples spectateurs impuissants face à l’hégémonie des grandes puissances, notamment des États-Unis. »

Des perspectives sombres pour la lutte contre la pauvreté

Les prochaines années risquent de voir la pauvreté s'aggraver encore, surtout avec la réduction drastique de l'aide étrangère américaine, autrefois pierre angulaire du développement mondial. Le budget de l'USAID, aujourd'hui démantelé, dépassait autrefois les budgets de nombreux pays.

Ajoutez à cela le retrait des accords climatiques, la baisse des investissements dans les initiatives de réduction des émissions, la hausse des barrières douanières, ainsi que la montée alarmante de la production et de l'exportation d'armes : toutes ces dynamiques mèneront au même résultat. Celui d'un démantèlement brutal des systèmes de protection sociale à travers une grande partie du monde, sous l'impulsion de la militarisation.