Les hauts responsables libanais s’accordent sur une vérité incontestable : la première obligation du pays est de s’assurer que toutes les armes soient sous le contrôle exclusif de l’État.

Ils reconnaissent également que leur second engagement — à savoir la réforme structurelle de l’économie, de la justice et de l’administration publique — dépend directement de la réussite du premier. Il ne s’agit pas seulement d’une exigence formulée par les communautés arabe et internationale, mais bien d’une priorité nationale fondamentale. C’est le socle même de la souveraineté étatique ; sans cela, toute tentative de construction d’un État fonctionnel revient à bâtir sur du sable mouvant.

Et pourtant, bien que la mise sous tutelle étatique de toutes les armes doive être appliquée ipso jure — c’est-à-dire par l’exécution des résolutions internationales existantes, des accords de cessez-le-feu, de l’Accord de Taëf, du serment présidentiel et de la déclaration ministérielle —, les autorités libanaises ont opté pour une autre voie. Elles ont choisi d’engager un dialogue avec le Hezbollah, invoquant le risque de troubles civils en cas d’action unilatérale.

Échaudé par l’échec des précédents dialogues dits « nationaux » sur ce sujet, le gouvernement a décidé de circonscrire les discussions à un cadre bilatéral entre l’État et le Hezbollah. Le président Joseph Aoun a déjà entamé ce dialogue, qu’il affirme vouloir sérieux et substantiel — et non un simple geste folklorique visant à calmer les pressions internationales, notamment américaines, tout en maintenant intact l’arsenal du Hezbollah, dissimulé derrière des appellations euphémiques telles que « les partisans de l’armée », récemment évoqués dans l’idée d’intégrer des combattants du parti dans les rangs militaires officiels.

La présidence cherche désormais à inscrire cette question dans une « stratégie nationale de sécurité » globale, dont la stratégie de défense ne serait qu’un volet. De son côté, le Hezbollah revient — après de longs dénis — à la notion de « stratégie de défense », qu’il utilise pour justifier la conservation de ses armes, arguant de la faiblesse de l’armée libanaise et de la nécessité de maintenir la « résistance » face à Israël.

Le Hezbollah a déjà alourdi les termes du dialogue en y ajoutant deux conditions : l’arrêt des frappes aériennes israéliennes et le retrait d’Israël des points libanais encore occupés. Pourtant, il sait parfaitement que ces conditions sont inaccessibles tant qu’il persiste à garder ses armes et ses arsenaux, au nord du fleuve Litani, dans le sud, et dans d’autres régions du pays.

Plus profondément encore, ces deux conditions apparentes en cachent une autre, bien plus stratégique : le dialogue attendu entre l’Iran et les États-Unis à Oman, qu’il soit direct ou indirect. Le Hezbollah devrait temporiser, voire manœuvrer dans les discussions internes, en attendant l’issue des négociations de Mascate. Il mise sur la capacité de Téhéran à alléger les pressions et sanctions américaines, ce qui renforcerait sa position face à l’État libanais et l’aiderait à esquiver l’échéance du désarmement.

Le parti chiite s’est d’ailleurs montré visiblement soulagé par le ton tiède de la récente rencontre entre le président américain Donald Trump et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, ainsi que par la « déception » exprimée par ce dernier face à l’annonce, jugée précipitée, de Trump sur des pourparlers avec l’Iran.

Ce contexte place le dialogue actuellement conduit par le président Joseph Aoun — avec le soutien du président du Parlement Nabih Berri, du Premier ministre Nawaf Salam et d’un gouvernement qui prévoit d’aborder la question des armes lors d’une prochaine session — à un carrefour critique. Son sort est désormais suspendu entre deux pôles : les résultats du dialogue irano-américain, et les divisions internes au sein du Hezbollah entre une aile dure, attachée aux armes et à l’affrontement, et une autre, plus modérée, encline à tirer les leçons de la guerre et à rejoindre les institutions de l’État.

Fait notable : Nabih Berri semble pencher en faveur du second camp, celui de la paix. Il a même commencé à adopter le vocabulaire du président Aoun, parlant de « stratégie nationale de sécurité » plutôt que de « stratégie de défense », au terme plus flou. Il a promis de contribuer à lever certains des obstacles qui entravent le dialogue sur les armes.

Si l’État a véritablement opté pour le dialogue afin d’éviter un affrontement, alors celui-ci doit porter sur le mécanisme du désarmement, et non sur son principe. Les discussions doivent être recentrées sur un calendrier libanais à court terme, fixant les modalités de la remise des armes à l’armée, sans être conditionnées par des développements extérieurs — en particulier les négociations irano-américaines —, sous peine de se transformer en dialogue creux, destiné à faire passer le temps, à le gagner… ou à le brûler.

Il est également impossible d’ignorer la pression israélienne, largement couverte par le soutien américain, en dépit des critiques formulées à l’égard du sommet Trump-Netanyahou. Cette réalité impose un sérieux et une urgence absolus dans la conduite du dialogue, d’autant plus que les armes du Hezbollah se sont tues, incapables de riposter à Israël. En d’autres termes, ces armes ont perdu leur raison d’être.

La question la plus cruciale que l’État libanais peut aujourd’hui poser au Hezbollah est peut-être la suivante : le parti a-t-il encore une autre option que de se conformer aux exigences du cessez-le-feu et de renoncer à ses armes — maintenant que l’on sait que celles-ci ne peuvent plus protéger ni ses dirigeants, ni ses partisans, ni le pays ? La réponse est très probablement non. Il ne lui reste qu’un discours théorique usé et un slogan dépassé sur la « nécessité de la résistance ».

Les derniers conflits ont révélé la nécessité pour l’Iran de relâcher, voire de rompre, ses liens avec certaines de ses ramifications régionales. Cela a déjà commencé en Irak avec les Forces de mobilisation populaire, et au Yémen avec les Houthis. Le Hezbollah ne fera probablement pas exception à cette tendance.

Avec ou sans dialogue, une seule voie s’impose — irréversible : l’État libanais doit se libérer de toutes les armes non étatiques, qu’elles soient libanaises ou étrangères. Le cap est clair, et plus le chemin pour y parvenir sera court, mieux ce sera.