Après des mois de rhétorique enflammée et de menaces réciproques, le récent changement de ton entre les responsables américains et iraniens laisse entrevoir une nouvelle phase : celle d’une diplomatie calibrée qui va au-delà du simple spectre d’une guerre dans le Golfe.

Il y a quelques jours à peine, le président américain Donald Trump a adressé une lettre au ton particulièrement dur au Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, avertissant que le temps pressait. Trump y posait un ultimatum : négocier un nouvel accord nucléaire avec les États-Unis dans un délai de deux mois, ou faire face à une frappe militaire dévastatrice. Bien que cette lettre comportait une main tendue en faveur de la paix, les Iraniens ont rejeté ce qu’ils ont perçu comme un ton condescendant. Khamenei et son entourage ont refusé toute négociation directe sous la menace avec un pays qu’ils considèrent comme peu fiable. En réponse, ils ont évoqué la possibilité de revoir la fatwa de 2003 interdisant l’arme nucléaire — un tournant qui ne pourrait intervenir que par une nouvelle décision religieuse.

Cet échange public de menaces a marqué un tournant critique. Pour la première fois depuis la révolution de 1979, Washington semblait prêt à envisager une guerre directe avec Téhéran. Les responsables américains estiment que l’Iran a considérablement progressé dans l’enrichissement de l’uranium, se rapprochant dangereusement de la capacité d’acquérir l’arme nucléaire. Cela fait suite à la sortie de l’accord nucléaire de 2015, dont Trump s’est retiré unilatéralement en 2018.

Mais cette montée des tensions a rapidement été suivie d’une série d’initiatives diplomatiques indirectes. Les Émirats arabes unis ont transmis le message de Trump à Téhéran, qui a répondu via le sultanat d’Oman. Résultat : l’Iran a accepté d’entrer en négociations — non pas directement avec Washington, mais par l’intermédiaire des Omanais, jugés plus dignes de confiance que les Émiratis.

Il ne s’agit toutefois pas des grandes négociations globales que Trump appelle de ses vœux. L’Iran insiste pour que les pourparlers se limitent exclusivement au volet militaire du dossier nucléaire. La première phase consistera à définir les contours de ces discussions : quels sujets seront abordés, qui représentera chaque partie, et à quel point ces représentants seront proches de Khamenei ou du président américain. Cette étape montrera le degré de sérieux des deux camps.

Israël en ligne de mire

La question israélienne reste omniprésente. Bien que le Premier ministre Benjamin Netanyahou soit toujours contraint dans ses marges de manœuvre et peu enclin à lancer une opération militaire unilatérale contre l’Iran, Washington ne tolérera pas de menace envers son allié régional le plus proche — surtout après le recul de l’influence iranienne dans la région, affaiblie par une série de revers récents.

Lors de sa prochaine visite à Washington, Netanyahou devrait faire pression sur l’entourage de Trump afin de le convaincre de ne pas se fier aux intentions iraniennes et de favoriser une frappe militaire. Depuis des années, Netanyahou vise un changement de régime à Téhéran — ou, a minima, le démantèlement de ses ambitions nucléaires. Il voit dans la conjoncture actuelle une opportunité historique : un gouvernement israélien ultra-droitier face à un président américain ouvert à la confrontation.

Mais les calculs de Trump, et de son vice-président J.D. Vance, diffèrent de ceux d’autres membres plus bellicistes de l’administration, comme le secrétaire à la Défense Pete Hegseth. Malgré leur ligne dure, Vance et ses partisans sont souvent qualifiés d’« isolationnistes » : ils privilégient des solutions rationnelles et pacifiques et redoutent que les États-Unis s’enlisent dans un nouveau conflit extérieur. Ils savent qu’une attaque totale contre l’Iran pourrait provoquer un effondrement du régime et entraîner un chaos intérieur — sans véritable intérêt stratégique. Ils préconisent plutôt des frappes ciblées contre des infrastructures stratégiques.

Mais l’Iran est loin d’être une cible facile. Avec un territoire de plus de 1,6 million de kilomètres carrés, il dispose d’un vaste réseau d’installations nucléaires dissimulées et dispersées, à la différence d’Israël, contre lequel Téhéran riposterait sans hésiter.

Les risques d’escalade

Les opposants à une intervention militaire posent des questions épineuses : que se passerait-il si l’Iran fermait le détroit d’Ormuz ? Si elle frappait les bases militaires américaines dans le Golfe, comme celle d’Al-Udeid au Qatar ? Si le conflit s’étendait, plongeant une région clé pour le commerce mondial dans la crise ? Des pays comme le Qatar, l’Arabie saoudite, les Émirats et le Koweït seraient immanquablement touchés, devenant des cibles pour les proxies iraniens. Des puissances régionales comme la Turquie et la Russie pourraient également être contraintes de prendre position.

C’est peut-être cette prise de conscience qui explique l’assouplissement du ton de Trump récemment, notamment son recul face aux menaces de riposte contre l’Iran après les attaques houthis contre la navigation maritime. Ce virage irrite les faucons de l’administration, partisans de la pression maximale, qui craignent que Trump n’adopte une posture similaire à celle de Barack Obama en concluant un nouvel accord offrant à l’Iran un regain d’influence et d’accès aux ressources financières.

Au sein de l’équipe Trump, certains estiment que l’Iran met en œuvre une nouvelle « stratégie de l’ombre » : un repli tactique visant à protéger le régime tout en espérant obtenir des concessions. Ils établissent un parallèle avec l’époque Obama, lorsque des négociations indirectes avaient fini par aboutir à un dialogue direct profitable à Téhéran.

Un nouvel accord, pas l’ancien

Washington et Téhéran s’accordent sur un point : l’accord de 2015 appartient au passé. Pour Trump, il n’a pas suffisamment encadré les programmes balistique, spatial et de drones de l’Iran, ni son rôle déstabilisateur dans la région — autant de points cruciaux pour les États-Unis et Israël. Son objectif est un démantèlement total des programmes nucléaire et balistique iraniens.

De son côté, l’Iran ne cherche pas non plus à réintégrer l’accord précédent. Il souhaite s’en servir comme base pour un nouvel accord mis à jour, dont la priorité serait la levée des sanctions et la récupération des avoirs gelés à l’étranger.

Un fossé profond demeure

Néanmoins, les divergences entre les deux parties restent abyssales. L’Iran refuse un démantèlement complet de ses programmes nucléaire et balistique. Il ne renoncera pas non plus à ses alliés régionaux, jugés essentiels à sa sécurité nationale. Washington, elle, considère que les proxies de Téhéran ont été affaiblis et que son influence a nettement reculé ; elle estime que l’Iran ne peut plus jouer sur l’ambiguïté ni combattre par procuration.

La situation reste donc extrêmement complexe. L’Iran devra faire des concessions — à commencer par l’arrêt de l’enrichissement d’uranium. Téhéran a déjà montré une certaine ouverture en annonçant la suspension de ses ambitions nucléaires militaires, et en acceptant de discuter de la stabilité régionale, voire du comportement de ses alliés.

Le temps et les dynamiques démographiques ne jouent plus en faveur de l’Iran. La région se transforme, tant sur le plan géographique que politique. En jouant habilement, les dirigeants iraniens espèrent que leur « stratégie de l’ombre » suffira à contenir l’ardeur guerrière de Donald Trump.