L’annulation de la visite à Washington du commandant de l’armée libanaise, le général Rodolphe Haykal, n’a été surprenante que par son timing, et non par ses motivations ou ses causes.
La surprise résidait dans le moment choisi : Haykal a été informé de la décision américaine d’annuler ses réunions de haut niveau alors qu’il faisait ses valises pour se rendre à l’aéroport, ce qui l’a poussé à interrompre son voyage à la dernière minute et à attendre des « conditions appropriées » pour répondre à l’invitation américaine.
Les raisons de cette annulation, toutefois, s’accumulaient depuis sa première rencontre, le 5 avril dernier, avec l’émissaire américaine Morgan Ortagus, une réunion décrite comme « négative », ce qui avait conduit l’administration américaine à surveiller de près les performances politiques et militaires du Liban dans la mise en œuvre du « monopole de l’État sur les armes », en particulier après la décision clé adoptée par le gouvernement le 5 août.
Washington n’a pas caché ses critiques concernant ce qu’elle qualifiait de « lente mise en œuvre », ni envers la doctrine consistant à « contenir les armes » plutôt qu’à les retirer, ni envers le manque de fermeté face aux déclarations répétées du « Hezbollah » affirmant reconstruire ses capacités militaires et sa préparation au combat, tout en continuant de recevoir un soutien financier de l’Iran.
La « colère » américaine s’est intensifiée après le dernier communiqué de l’armée, qui omettait toute référence à la responsabilité du « Hezbollah » dans la crise au Sud et au Liban de manière générale, et qui imputait au seul « ennemi israélien » la responsabilité totale d’empêcher l’extension de la souveraineté libanaise jusqu’aux frontières internationales.
Il est vrai que l’expression « ennemi israélien » est traditionnelle dans les communiqués de l’armée, conformément à la rhétorique nationale et à certaines dispositions légales, et que l’armée est tenue de l’utiliser. Pourtant, les autorités politiques libanaises ont employé l’expression « État d’Israël » dans l’accord de démarcation maritime il y a plus de trois ans, sous le parrainage direct du président Nabih Berry et de Sayyed Hassan Nasrallah à l’époque.
Toutes les forces politiques libanaises, y compris Berry lui-même — peut-être aussi au nom du « Hezbollah » — ont fini par entrer dans une dynamique d’acceptation de négociations avec Israël qui peuvent commencer par des réserves de forme, directes ou indirectes, politiques ou techniques, mais qui aboutiront inévitablement à un addendum à l’accord d’armistice, auquel il sera impossible d’échapper, entre normalisation et accords d’Abraham, dans une région qui évolue de plus en plus vers « la paix par l’entente » ou « la paix par la force ».
Mais l’objection américaine va bien au-delà des formules et des apparences ; elle touche au cœur même de la crise — à savoir le non-respect par le Liban des délais fixés pour placer toutes les armes sous l’autorité de l’État et la poursuite de l’afflux de fonds vers le « Hezbollah ». Ce contexte a poussé Washington à envoyer à Beyrouth une délégation de haut niveau, sécuritaire, financière et politique, afin de mettre en garde contre tout relâchement dans l’assèchement des financements et le retrait des armes.
Alors que la position américaine atteint un niveau de désapprobation politique et militaire sans précédent, les autorités libanaises — président, Premier ministre, président du Parlement et gouvernement — doivent revoir leurs performances lentes, voire négligentes, et entamer une mise en œuvre concrète et opérationnelle du contrôle des armes, sans recourir aux peurs artificiellement entretenues de discorde ou de « guerre civile ».
D’autant plus que le président Joseph Aoun a déclaré dans une interview — supprimée par la suite — que « le « Hezbollah » est militairement fini », ce qui retire toute justification à l’hésitation d’effectuer des raids sur les dépôts, tunnels et positions afin de saisir ce qui reste de son arsenal et de ses munitions, tout en neutralisant le risque de confrontation brandi dans le discours politique.
Il est devenu évident que la crise avec Washington n’est pas née de ce qui a été décrit comme des « médisances » ou des « propos empoisonnés », mais de faits concrets et de réalités tangibles sur le terrain libanais.
Car une puissance mondiale comme les États-Unis, qui gère des dossiers de crises et de conflits dans le monde entier et qui est l’acteur le plus actif dans ce domaine, ne fonde pas ses positions stratégiques sur des « médisances» ou des ragots locaux, mais sur un renseignement précis et des rapports détaillés produits par ses réseaux aux quatre coins du globe, au service de stratégies globales élaborées avec minutie, en particulier au Moyen-Orient.
Réduire la crise libanaise au niveau d’un « murmure » ne détourne pas l’attention du monde de la réalité ni de la stratégie régionale du président Donald Trump, une réalité qui exige des hauts responsables libanais qu’ils l’admettent d’abord, qu’ils en respectent les implications ensuite, qu’ils en appliquent les exigences ensuite encore, et qu’ils cessent enfin de s’attarder à des narratifs de complots.
Une des leçons de l’histoire politique est que chaque crise porte en elle une opportunité, et que chaque choc entraîne une réaction ; l’espoir est que les autorités libanaises saisissent cette opportunité et réagissent positivement au choc, permettant ainsi au Liban de retrouver son chemin promis vers le redressement.
Mais si les autorités ne parviennent pas à saisir cette opportunité et à tirer les enseignements du choc, le Liban risque de se diriger vers une triple fermeture : politique, financière et militaire.
Et à ce moment-là, il sera inutile de dire : « Si seulement nous avions su que l’enjeu était stratégique, et non une simple « médisance » ! »
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