Près de cinq ans après l’adoption de la loi libanaise criminalisant le harcèlement sexuel (loi n°205/2020), la députée Paula Yacoubian, en collaboration avec l’ONG Mouvement Social – Égalité, a présenté une proposition d’amendement du texte. L’objectif : clarifier certaines dispositions, le rendre plus efficace et renforcer les sanctions qu’il prévoit.
Cette nouvelle initiative répond à une réalité sociale en pleine mutation et à la multiplication des cas de harcèlement sur les lieux de travail, dans les universités et les espaces publics — dans un contexte où de nombreuses femmes éprouvent un sentiment d’insécurité et de manque de justice réelle, malgré l’existence de la loi.
Le harcèlement sexuel au Liban demeure un sujet sensible, difficile à évoquer pour les victimes. Les femmes qui portent plainte s’exposent souvent à une stigmatisation sociale sévère, voire à des contre-accusations. Beaucoup préfèrent se taire, par crainte pour leur réputation ou leur emploi, tandis que d’autres, lorsqu’elles osent parler, sont publiquement attaquées. C’est pourquoi la révision de la loi représente une étape essentielle pour encourager la dénonciation et garantir une justice équitable et effective.
Contexte juridique et tentatives antérieures
La loi criminalisant le harcèlement sexuel a été adoptée en décembre 2020, après plusieurs années de plaidoyer mené par les organisations féministes et la société civile. Elle définit le harcèlement comme tout comportement verbal, non verbal ou physique de nature sexuelle causant un préjudice à la victime.
Malgré son importance symbolique, la loi a été critiquée dès le départ pour le flou de certaines de ses dispositions et pour des sanctions jugées parfois insuffisantes au regard du préjudice subi. De plus, les mécanismes de dépôt des plaintes restent complexes et manquent d’un accompagnement psychologique et social adapté aux victimes.
Des associations telles que KAFA (Assez de violence et d’exploitation), Mousawat et ABAAD ont œuvré pendant des années à documenter les cas, à organiser des campagnes de sensibilisation et à encourager les femmes à signaler les faits. Mais l’absence d’une application efficace de la loi a maintenu le problème dans l’ombre.
Avis d’experte : une avancée qui reste à concrétiser
Selon la spécialiste des problèmes des genres Nadine Mourad, interrogée par Al-Safa News, « la loi libanaise a posé les bases juridiques de la lutte contre le harcèlement, mais elle n’a pas encore offert un système de protection global ».
Elle ajoute : « Ce qu’il faut aujourd’hui, ce n’est pas seulement durcir les peines, mais aussi créer des mécanismes de soutien aux victimes au sein des institutions éducatives et professionnelles, et former la police judiciaire ainsi que les juges à traiter ces affaires avec sensibilité et équité. »
Mourad estime par ailleurs que le Liban a besoin « d’une loi complémentaire obligeant les institutions publiques et privées à adopter des politiques préventives claires et des procédures internes d’enquête avant que les plaintes n’atteignent les tribunaux ».
Perspective comparative : les leçons des autres pays
Dans de nombreux pays occidentaux — comme la France, la Suède ou le Canada — les dispositifs de lutte contre le harcèlement ne se limitent pas à sanctionner les auteurs. Ils incluent aussi des politiques préventives et des formations obligatoires pour les employés sur les règles de conduite professionnelle.
En France, par exemple, les entreprises qui ne prennent pas de mesures pour prévenir le harcèlement sur le lieu de travail s’exposent à des amendes, tandis que la Suède met à disposition des lignes d’assistance confidentielles et des cellules de soutien interne pour les victimes.
Dans le monde arabe, certains pays ont devancé le Liban avec des législations plus claires et plus complètes. La Tunisie, par exemple, a adopté en 2017 une loi globale contre la violence faite aux femmes, incluant une définition précise du harcèlement et des procédures de protection immédiate. Le Maroc, lui, a modifié en 2018 son code pénal pour criminaliser le harcèlement aussi bien dans la rue que sur les lieux de travail.
Les réformes nécessaires
Les experts et les militants appellent aujourd’hui à plusieurs réformes essentielles :
- Unifier et élargir les définitions légales du harcèlement pour englober toutes ses formes, y compris les abus en ligne et professionnels.
- Créer des unités d’écoute et de soutien pour les victimes au sein des ministères et des grandes institutions.
- Lancer des campagnes nationales visant à changer les mentalités qui justifient le silence ou blâment la victime.
- Intégrer la notion de « sécurité de genre » dans les programmes scolaires afin de sensibiliser dès le plus jeune âge.
- Garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire et accélérer les procédures pour protéger les victimes du chantage et des pressions sociales.
Vers une société plus sûre et plus juste
Une loi n’a de valeur que si elle est appliquée avec rigueur. La lutte contre le harcèlement n’incombe pas uniquement à l’État : elle relève d’une responsabilité partagée entre les institutions, la société, les médias et l’éducation.
Dans un pays comme le Liban, où les traditions sociales freinent encore la dénonciation des abus, la mise à jour de la loi et le renforcement des sanctions constituent une étape fondamentale vers la construction d’un environnement qui respecte la dignité des femmes, rende justice aux victimes et dissuade les agresseurs.
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