De récentes statistiques révèlent que les pays arabes figurent parmi ceux qui enregistrent les taux de tabagisme les plus élevés au monde. La Jordanie arrive en tête, avec près de 36 % des adultes fumeurs, suivie de près par le Liban avec plus de 34 %. L’Égypte se situe autour de 25 %, tandis que l’Algérie, le Koweït, la Tunisie et l’Irak affichent chacun des taux compris entre 19 % et 21 %. Ces chiffres mettent en évidence l’ampleur du défi sanitaire et social auquel la région est confrontée : le tabac cause chaque année des millions de décès dans le monde et exerce une pression supplémentaire sur des systèmes de santé déjà fragiles.
Au Liban, le problème est encore plus préoccupant. Selon le Tobacco Atlas et l’Organisation mondiale de la santé, plus d’un tiers des adultes libanais fument – soit environ 1,5 million de personnes. Ici, fumer n’est pas seulement une habitude individuelle mais une pratique sociale profondément enracinée. La chicha, ou arguilé, est omniprésente dans les cafés et les réunions familiales, considérée comme un symbole de convivialité. Cette normalisation culturelle a favorisé l’adoption croissante du tabagisme parmi les jeunes et les femmes.
Plusieurs facteurs expliquent la forte prévalence du tabagisme au Liban :
- Les traditions sociales : la chicha est normalisée dans les restaurants, cafés et événements sociaux, largement acceptée même chez les femmes et les jeunes.
- Prix et fiscalité : les cigarettes et autres produits du tabac sont moins chers que dans de nombreux pays. Les agences de santé recommandent depuis longtemps une hausse des taxes.
- Une réglementation faible : les lois existent mais leur application reste défaillante, notamment dans les lieux publics ; le contrôle de l’âge légal pour la vente de tabac est insuffisant.
- La consommation combinée : beaucoup associent cigarettes, chicha, tabac aromatisé ou encore vapotage, augmentant ainsi les risques pour la santé.
- La crise économique et politique : pauvreté, chômage et stress poussent de nombreux Libanais à fumer comme échappatoire.
La lutte antitabac se heurte à plusieurs obstacles au Liban et dans la région :
- L’influence des compagnies de tabac, fortes de relais politiques et sociaux.
- Le manque de financement pour les campagnes de sensibilisation et les programmes de sevrage.
- L’absence de suivi régulier et fiable des taux de tabagisme.
- L’effondrement économique, qui relègue souvent la santé publique au second plan.
Mais il existe aussi des opportunités :
- Appliquer efficacement les recommandations de l’OMS : hausse des taxes, interdiction de fumer dans les lieux fermés, campagnes d’information.
- Cibler les groupes à haut risque, en particulier les jeunes, les femmes et les foyers à faibles revenus.
- Développer les services de sevrage : centres spécialisés, lignes d’assistance, accompagnement psychologique.
- Impliquer la société civile et les médias pour transformer l’image sociale du tabac.
Un lourd tribut pour le Liban
Le coût sanitaire et économique est colossal. Le tabagisme serait responsable d’environ 11,5 % des décès au Liban, alors que le système de santé ploie déjà sous les crises successives. Les coûts directs et indirects liés au tabac dépassent 140 millions de dollars par an – soit près de 2 % du PIB. Un fardeau immense pour un pays frappé par un déficit budgétaire chronique et des ressources limitées.
Le docteur Ziad Khansa, pneumologue et spécialiste de santé publique, explique : « Le tabagisme au Liban ne peut pas être réduit à une question individuelle, c’est une crise sociétale. Au-delà de la normalisation culturelle de la chicha, la faiblesse de la réglementation, l’absence d’application des lois anti-tabac et le poids économique des compagnies de tabac ont permis à l’épidémie de prospérer. »
Il ajoute que la lutte exige une véritable volonté politique : « Cela passe par une fiscalité plus forte, l’interdiction totale dans les lieux publics, des programmes de sevrage accessibles et des campagnes continues visant les jeunes, qui sont la catégorie la plus vulnérable. »
La crise économique amplifie le phénomène : de nombreux Libanais se tournent vers le tabac comme moyen d’échapper au stress quotidien. Cette corrélation entre détresse sociale et recours au tabagisme complique la solution. Pour beaucoup, cigarettes ou chicha sont devenues un « refuge » malgré leurs dangers connus.
Un fardeau national
Le Liban a aujourd’hui un besoin urgent d’une stratégie globale qui combine législation stricte, accompagnement au sevrage et changement culturel. L’enjeu ne concerne plus seulement la santé individuelle : il s’agit d’un fardeau national qui menace l’avenir des générations dans un pays déjà accablé par des crises multiples.
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