Le Vatican s’apprête à annoncer le premier voyage à l’étranger du pape Léon XIV, prévu pour la fin novembre, à destination de la Turquie et du Liban. Une visite chargée de symbolisme spirituel, politique et historique — en particulier pour le Liban, un pays qui, malgré ses blessures, continue de représenter une exception au Moyen-Orient.
Turquie : retour à Nicée
La première étape du voyage sera la Turquie, où le souverain pontife participera à la commémoration du 1700ᵉ anniversaire du premier concile de Nicée (325 apr. J.-C.), moment décisif de l’histoire du christianisme. Au-delà de sa portée théologique, l’événement envoie un message d’unité entre Orient et Occident, renforcé par la coopération entre le Saint-Siège et le Patriarcat œcuménique de Constantinople. La commémoration coïncidera également avec l’anniversaire de l’intronisation du patriarche Bartholomée Ier, le 29 novembre.
Liban : le symbole de l’exception
La seconde étape, le Liban, confère une dimension toute différente à ce voyage papal. Il ne s’agit pas seulement de poser le pied sur une terre meurtrie par les guerres et les divisions, mais d’affirmer le rôle durable du pays comme « laboratoire » du vivre-ensemble entre judaïsme, christianisme et islam. Une symbolique d’autant plus forte que le Liban reste le seul État arabe du Moyen-Orient dirigé par un président chrétien, malgré un siècle de bouleversements géopolitiques.
De la Mutasarrifiyya au Grand Liban
Les racines de la direction chrétienne du Liban remontent au XIXᵉ siècle, avec l’instauration du système de la Mutasarrifiyya (1861–1918) sous supervision internationale, qui garantissait aux chrétiens un rôle central dans la gouvernance. Ce socle s’est consolidé lorsque le général Henri Gouraud proclama la création du « Grand Liban » en 1920, puis après l’indépendance de 1943, avec le Pacte national qui institua une formule unique de partage du pouvoir entre musulmans et chrétiens.
Le cèdre, un symbole sacré
Le cèdre, emblème éternel du Liban, dépasse son importance écologique pour revêtir une signification sacrée. La Bible affirme : « Le juste croîtra comme le cèdre du Liban » (Psaume 92:12), image de force, de constance et de grandeur. Le premier Livre des Rois raconte comment Hiram, roi de Tyr, fournit au roi Salomon du bois de cèdre pour la construction du Temple de Jérusalem — preuve que le Liban fut dès l’Antiquité un pont spirituel et matériel entre civilisations.
Cette symbolique rappelle que le pluralisme libanais ne s’est jamais limité au christianisme et à l’islam : il a également intégré une présence juive, reflet de l’identité du pays comme carrefour de religions et de traditions.
Une indépendance fragile, un message durable
Depuis son indépendance, le Liban a été mis à l’épreuve par des équilibres confessionnels précaires — tantôt par des rivalités internes, tantôt par des conflits extérieurs qui ont enflammé son sol. Malgré les crises politiques, la présidence chrétienne est demeurée le symbole du rôle unique du Liban dans la région.
Le pape Jean-Paul II affirmait un jour : « Le Liban est plus qu’un pays, c’est un message. » La visite prochaine du pape Léon XIV ambitionne de raviver ce sens profond — à un moment où pessimisme, optimisme prudent et désespoir se côtoient dans les 10 452 km² de la République du Cèdre.
Liban : un message fatigué mais vivant
La présence du souverain pontife sur le sol libanais résonnera comme un rappel adressé au monde : ce petit pays, malgré les tempêtes, n’a jamais renoncé à sa mission ni perdu sa foi en la coexistence. Chaque pierre de ses montagnes raconte une histoire de résistance ; chaque église et chaque minaret portent l’écho d’une prière commune qui s’élève vers le ciel.
Il ne s’agira pas d’une visite protocolaire. Ce sera un moment pour rappeler que le Liban, accablé par les crises, demeure un phare d’espérance, une terre en quête de salut par des mains qui s’unissent, et non par des doigts qui s’entrechoquent.
Et si le va-et-vient des marées politiques libanaises paraît souvent plus houleux que la Méditerranée elle-même — bousculée par des dirigeants qui, au fil de l’histoire, ont surfé tour à tour sur les vagues ottomanes, arabes, perses, européennes ou américaines —, le verre reste à moitié plein. Car le cèdre, immuable, veille depuis les hauteurs de Bcharré à Deir el-Ahmar, tel un gardien sur les rivages agités de la nation, contenant le chaos et incarnant l’éternel combat, et la promesse, du Liban.
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