Après plus d’un an de débats, le gouvernement libanais et le ministre des Télécommunications Charbel Hajj ont validé un accord permettant l’entrée de Starlink au Liban. La décision, conclue directement avec la société SpaceX, a contourné les mécanismes juridiques prévus par la loi sur les télécommunications. Un choix qualifié de « saut au-dessus de la loi », d’autant qu’il est intervenu le jour même de l’annonce de la création de l’Autorité de régulation du secteur des télécommunications, censée être la référence pour tout nouveau permis.

Trois points de controverse

Les objections à l’introduction de Starlink reposent sur trois axes principaux :

- Le contournement légal : selon la loi 431/2002, aucun permis ne peut être délivré sans passer par l’Autorité de régulation des télécommunications.

- La souveraineté numérique : recourir à une société étrangère pour l’internet par satellite soulève des inquiétudes sur le transfert des données des citoyens hors du Liban.

- L’exclusivité du partenariat : un accord exclusif avec Starlink, sans mise en concurrence avec d’autres acteurs internationaux, fait planer le risque d’un monopole.

- La position des députés et de la commission parlementaire

Le député Yassine Yassine, membre de la Commission des télécommunications, a mis en garde contre l’abandon de la souveraineté numérique. Il a rappelé que, conformément au décret-loi 126/1959 et au décret réglementaire 9288/1996, l’importation d’internet international via câbles sous-marins ou satellites relève du monopole de l’État libanais.

« Tout approvisionnement direct en bande passante en dehors de ces canaux constitue une violation claire de la loi, sauf disposition spéciale », a-t-il déclaré. « De même, l’attribution ou l’exploitation des fréquences ne peut se faire sans licence de l’autorité de régulation. »

Il a demandé que des conditions précises soient fixées :

- création d’une société locale avec une participation de l’État d’au moins 40 % ;

- part annuelle des revenus versée à l’État ;

- emploi d’au moins 70 % de Libanais dans les cinq ans ;

- couverture des zones rurales et raccordement au réseau national ;

- interdiction du monopole et garantie de la concurrence.

Le président de la Commission, le député Ibrahim Moussaoui, a insisté sur la nécessité de prendre en compte les dimensions sécuritaires et économiques de l’accord, afin d’éviter toute faille sécuritaire et d’assurer des recettes réelles pour l’État.

Les craintes des fournisseurs d’accès locaux

L’opposition ne vient pas seulement des parlementaires. Les fournisseurs d’accès à internet (FAI) privés y voient une menace directe à leur survie. Sept sociétés, dont Inconet, Terranet et Broadband, ont signé une lettre de protestation réclamant une intégration progressive et encadrée de Starlink. Elles estiment que l’arrivée du service pourrait leur faire perdre jusqu’à 25 % de leur clientèle et réduire leurs revenus de 27 %, ce qui impacterait également les recettes de l’État.

Des coûts élevés qui limitent l’accès

Bien que présenté comme une solution aux problèmes d’internet au Liban, Starlink risque de rester inaccessible pour une large partie de la population :

- coût du matériel entre 350 et 500 dollars (paiement unique) ;

- abonnement mensuel résidentiel de 42 à 56 dollars ;

- pour les entreprises : 111 dollars par mois pour 500 Go.

En réalité, le service semble mieux adapté aux entreprises et institutions qu’aux ménages ou zones reculées, contrairement à l’argument avancé par ses promoteurs.

Souveraineté numérique et manque de transparence

Au-delà des prix, les inquiétudes concernent aussi la souveraineté numérique. Des experts avertissent que les données des utilisateurs libanais seront transmises via des satellites et stations hors du pays, appartenant à la société mère, soulevant des questions sur leur stockage et leur confidentialité.

Le flou persiste également sur plusieurs points : durée de la licence, part des revenus allouée à l’État, nature des investissements de Starlink au Liban.

Soupçons de conflits d’intérêts

La polémique s’est accentuée avec des accusations de conflit d’intérêts. Le ministre Charbel Hajj détiendrait ou aurait détenu des parts dans deux FAI locaux, Waves et Connect, qui commercialisent déjà les services Starlink et qui, contrairement à d’autres sociétés, n’ont pas signé la lettre de protestation.

Conclusion

Le dossier Starlink illustre les failles de gouvernance au Liban :

- décisions précipitées hors du cadre légal ;

- risques pour la souveraineté numérique et la sécurité nationale ;

- menace économique pour les opérateurs locaux et les recettes publiques ;

- tarifs élevés limitant l’accès pour la population et les régions rurales.

Dans un secteur aussi vital que les télécommunications, la politique du « passage en force » ne peut tenir lieu de stratégie. Le Liban a besoin d’une régulation transparente, qui concilie les avantages d’une technologie avancée comme Starlink avec la protection de l’économie nationale et la défense de l’intérêt public.