Alors que la dynamique s’accélère autour de la reconnaissance internationale d’un État palestinien, Washington a dressé un obstacle de taille : les États-Unis ont annoncé qu’ils interdiraient l’entrée sur leur territoire aux hauts responsables de l’Autorité palestinienne – y compris le président Mahmoud Abbas – en annulant les visas existants et en les empêchant d’assister à l’Assemblée générale des Nations unies prévue ce mois-ci à New York. La mesure, soutenue par Israël, vise à saper une conférence menée par l’Arabie saoudite et la France en marge des travaux onusiens, destinée à accélérer la reconnaissance de l’État palestinien. Cette décision va bien au-delà du sabotage de la campagne diplomatique. Ces dernières semaines, elle a donné de facto au Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou le feu vert pour poursuivre ses plans à Gaza et en Cisjordanie – infligeant une punition à l’Autorité palestinienne malgré sa prise de distance avec l’opération « Déluge d’al-Aqsa » et son opposition affichée. Abbas, de son côté, a rejeté la justification américaine selon laquelle l’interdiction relèverait de la sécurité nationale ou du non-respect par l’Organisation de libération de la Palestine et l’Autorité de leurs engagements de paix. Il considère ces accusations – extrémisme, reconnaissance unilatérale de la Palestine, terrorisme et violence – comme une manœuvre politique destinée à réduire au silence la direction palestinienne à l’ONU.

Entre options internationales et Ramallah

À court terme, plusieurs options s’offrent à Abbas. Il peut continuer à contester la décision de Washington en invoquant le droit international et l’Accord sur le siège de l’ONU, qui oblige les États-Unis à permettre l’accès de toutes les délégations. Il n’a pas encore dévoilé de plan de repli mais prépare une contre-offensive diplomatique, misant sur le soutien arabe – en particulier saoudien – et sur une solidarité populaire croissante à l’échelle mondiale. Une piste envisagée est une tournée européenne, avec des étapes à Londres, Paris, Madrid, Bruxelles et au-delà. Le Royaume-Uni a déjà annoncé son intention de reconnaître la Palestine lors de l’Assemblée générale – un geste chargé de symbolisme étant donné le rôle historique de la Grande-Bretagne dans la création d’Israël à travers la Déclaration Balfour. La France, elle aussi, a rejeté la décision américaine. Le président Emmanuel Macron s’est imposé comme un soutien clé, Paris étant perçu comme un partenaire crédible et historiquement accepté dans le monde arabe. L’Espagne, qui a officiellement reconnu la Palestine en mai, et la Belgique – siège des institutions européennes – figureraient également au programme, tout comme Malte et d’autres pays hors du continent engagés dans une mobilisation politique et populaire en faveur de la reconnaissance. Si Washington maintient sa position, Abbas pourrait tout de même se faire entendre indirectement par l’intermédiaire de l’envoyé palestinien Riyad Mansour, chargé de prononcer son discours à l’Assemblée générale. Mais une telle démarche serait perçue comme un recul. Une option plus audacieuse consisterait à demander au secrétaire général de l’ONU António Guterres de transférer la session à Genève, comme ce fut le cas en 1988 lorsque Washington avait interdit à Yasser Arafat de se rendre à New York et que ce dernier avait proclamé l’indépendance palestinienne devant l’ONU en Suisse. Un autre scénario, symbolique mais puissant, verrait Abbas s’adresser directement au monde depuis son quartier général de Ramallah. Une allocution télévisée mettrait en scène son exclusion, mettrait en lumière les griefs palestiniens et amplifierait la sympathie internationale.

Une nouvelle réalité pour la communauté internationale

L’interdiction américaine obligera les gouvernements à clarifier leur position. Après les destructions à Gaza et l’incapacité du système international à les empêcher, la question de la reconnaissance d’un État palestinien devient un test de crédibilité pour de nombreuses capitales. À plus long terme, Abbas dispose de cartes juridiques et diplomatiques qui pourraient mettre Washington dans l’embarras, même si elles ne permettent pas d’annuler l’interdiction de voyage qui l’empêchera de s’exprimer à New York le 19 septembre. Quel que soit le chemin choisi, cette mesure renforce paradoxalement sa stature auprès des Palestiniens. Pour Abbas et son entourage, le train de la reconnaissance étatique ne s’arrêtera pas. Leur inquiétude principale concerne les plans de Netanyahou, soutenus par Washington, en Cisjordanie. Si Israël paraît enlisé à Gaza, les Palestiniens estiment qu’il n’a pas renoncé à une stratégie plus large de déplacement – que ce soit dans la bande de Gaza ou en Cisjordanie. L’agenda de Netanyahou est clair : isoler Jérusalem du reste de la Cisjordanie et diviser le territoire en deux blocs, l’un autour de Jénine, Naplouse et Ramallah, l’autre autour d’Hébron et Bethléem. Peu de Palestiniens se font d’illusions sur l’arrivée d’un futur gouvernement israélien fondamentalement différent. Avec un paysage politique qui dérive toujours plus à droite, la tendance est à des exécutifs de plus en plus durs, déterminés à clore définitivement la question palestinienne et à renforcer le contrôle militaire, économique et sécuritaire – quelle que soit la forme finale du plan de déplacement.

Le combat existentiel d’Abbas

Pour l’Autorité palestinienne, la crise actuelle n’est que la dernière étape d’une lutte existentielle. Marginalisée ces dernières années, affaiblie sur le plan interne et prise en étau entre Israël et les États-Unis, elle s’accroche au soutien arabe et au dossier de la reconnaissance étatique comme fondement de sa légitimité. Elle mise sur le temps, sur la sympathie internationale et sur la pression américaine à l’égard d’Israël pour se repositionner en vue d’un éventuel partenaire israélien disposé à négocier. D’ici là, chaque obstacle – même l’interdiction américaine – devient l’occasion de consolider le rôle symbolique d’Abbas comme figure de proue de la quête d’État et comme incarnation durable de la cause palestinienne.