Le secteur pharmaceutique libanais est l’un des plus vitaux du pays, touchant directement la vie des citoyens, en particulier dans le contexte des crises économiques et financières qui secouent le Liban depuis 2019. Malgré la capacité du pays à produire près de 70 % de ses besoins pharmaceutiques locaux durant l’effondrement économique — selon le président de l’Ordre des pharmaciens, Joe Salloum — ce potentiel est resté largement inexploité en raison de l’absence de politiques gouvernementales de soutien.

Les usines pharmaceutiques libanaises, qui ont réussi à résister à la chute de la monnaie et au manque d’appui officiel, continuent de souffrir d’un déficit d’incitations fiscales, de soutien à l’investissement et de facilités à l’exportation. Cette absence de vision prive le Liban de l’opportunité de devenir un centre régional de fabrication et d’exportation de médicaments.

Le défi des médicaments contrefaits et de la contrebande

Parallèlement au manque de soutien de l’État à la production locale, le Liban fait face à une menace sérieuse : la prolifération de médicaments contrefaits et introduits en contrebande. Ce phénomène ne mine pas seulement le secteur de la santé, mais met aussi des vies en danger.

Salloum souligne que le marché libanais a déjà connu la circulation de médicaments de qualité médiocre. De plus, certains médicaments subventionnés ont été acheminés clandestinement hors du pays, réduisant leur disponibilité pour les citoyens à des prix abordables. Aujourd’hui, les réseaux sociaux promeuvent ouvertement des « paniers » de médicaments non homologués, vendus sans aucun contrôle ni garantie de qualité ou de sécurité.

Le problème est aggravé par la faiblesse des contrôles aux frontières et dans les ports, ce qui permet l’entrée de grandes quantités de produits de contrebande, inondant le marché et sapant la confiance dans les médicaments locaux comme importés.

Mesures préventives et législatives

Parmi les initiatives phares actuellement portées par l’Ordre des pharmaciens figure la mise en place d’un système de « code-barres ». Celui-ci permettrait aux patients de vérifier la provenance et la qualité des médicaments avant de les consommer, représentant ainsi un pas majeur dans la régulation du marché et la protection des consommateurs.

Par ailleurs, les décrets d’application relatifs à la création de l’Agence nationale du médicament devraient voir le jour prochainement. Ils ouvriraient la voie à un cadre institutionnel organisé pour superviser le secteur et mettre fin au chaos qui y règne.

Comment protéger et renforcer le secteur ?

L’expert en politiques de santé, le Dr Marwan Abdallah, a déclaré à Al Safa News que l’industrie pharmaceutique libanaise se trouve à la croisée des chemins :

1- À court terme, il est nécessaire de renforcer les contrôles aux frontières et dans les ports, de poursuivre les « commerçants de valises » et les vendeurs illégaux en ligne, et d’imposer des sanctions sévères à toute personne impliquée dans l’introduction ou la distribution de médicaments contrefaits ou de contrebande.

2- À moyen terme, l’activation rapide de l’Agence nationale du médicament est indispensable, avec l’octroi de pleins pouvoirs pour superviser l’enregistrement, l’importation et la distribution des médicaments, garantissant ainsi sécurité et qualité.

3- À long terme, le Liban doit lancer un plan national de soutien à l’industrie pharmaceutique locale en :

- offrant des incitations fiscales et douanières ;

- soutenant l’exportation et l’ouverture de marchés étrangers ;

- encourageant les partenariats avec des laboratoires pharmaceutiques mondiaux ;

- investissant dans la recherche scientifique pour développer de nouveaux médicaments.

L’expert insiste : investir dans le secteur pharmaceutique n’est pas un luxe, mais une nécessité stratégique pour garantir la sécurité sanitaire et économique du Liban, tout en le positionnant parmi les pays capables de produire et d’exporter des médicaments de haute qualité.

Un miroir des crises libanaises

En définitive, le secteur pharmaceutique reflète les crises plus larges du Liban : les capacités existent, mais les politiques manquent. Alors que les médicaments contrefaits et de contrebande continuent de se répandre, la réforme devient plus qu’une obligation morale ou sanitaire : c’est une condition essentielle pour protéger des vies et restaurer la confiance dans le système de santé.

L’État est aujourd’hui face à un choix crucial : soit investir dans ce secteur et le transformer en levier économique et sanitaire, soit l’abandonner aux griffes du chaos, de la corruption et de la contrebande.