La scène politique libanaise ne tolère plus de zone grise. C’est soit un État unique avec une seule armée et une seule arme, soit un État dans l’État qui entraîne le pays vers le chaos. La visite d’Ali Larijani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, à Beyrouth, n’a pas relevé du simple protocole diplomatique. Elle a constitué une déclaration brutale: l’arsenal du « Hezbollah » n’est pas une décision libanaise, mais un dossier rangé dans la poche de Téhéran. Au moment où les Libanais aspirent à recouvrer leur souveraineté, l’émissaire iranien est venu leur rappeler que la tutelle des armes est toujours là, nourrie par l’affaiblissement de l’État, la complicité des uns et le silence des autres.
Une visite comme avertissement politique, non de la diplomatie
L’arrêt de Larijani à Beyrouth, marqué par des accueils modestes organisés par les partisans du « Hezbollah », a porté un message limpide : la décision concernant les armes se prend en dehors des frontières libanaises. La visite a suivi des déclarations répétées de responsables iraniens rejetant toute initiative visant à désarmer le parti, à un moment où le gouvernement libanais adoptait une option souveraine décisive : placer toutes les armes sous l’autorité de l’État. Pour de nombreux Libanais, cette décision est un pas vers la reconquête d’un État confisqué. Pour le « Hezbollah », en revanche, elle est présentée comme une menace existentielle, parfaitement alignée sur l’agenda de Téhéran qui dépasse largement les frontières du Liban.
Le discours du déni iranien
Larijani a déclaré à la presse que l’Iran « ne s’ingère pas dans les affaires des autres pays ». Mais les faits sur le terrain réduisent cette affirmation à néant : l’accueil orchestré par le « Hezbollah » et les déclarations ouvertes de Téhéran affirmant que son arsenal fait partie de sa stratégie régionale sont la preuve vivante d’une tutelle politique achevée. Ce n’est pas une « aide » au Liban, mais la confiscation de sa souveraineté, transformée en monnaie d’échange dans un jeu régional pourri..
Aoun et Salam: Messages de souveraineté
Le président Joseph Aoun a souligné que tout partenariat avec une puissance étrangère doit reposer sur le respect de la souveraineté, en affirmant que le Liban ne saurait être réduit à une seule communauté ou à un seul parti. Le Premier ministre Nawaf Salam, lui, a directement confronté Larijani en rejetant les propos des responsables iraniens comme une violation flagrante des usages diplomatiques. Il a rappelé que la décision de placer toutes les armes sous le contrôle de l’État « est un engagement libanais depuis l’accord de Taëf ». Ces positions constituent un test de la capacité de l’État libanais à résister aux ingérences extérieures.
Les alliés d’hier s’éloignent
Même les anciens alliés du « Hezbollah » révisent leurs positions. Gebran Bassil, autrefois partenaire stratégique, a déclaré sans détour que la « fonction dissuasive de l’arsenal du Hezbollah s’est effondrée » après sa participation unilatérale à la dernière guerre. Ce revirement reflète l’étroitesse de la marge politique dont dispose le parti, confirmant que son armement a perdu sa couverture nationale et n’est plus qu’un instrument de politique étrangère.
L’histoire enseigne que « passer du fusil à la politique exige beaucoup plus de courage que le combat ». Il est peut-être temps pour le « Hezbollah » de faire preuve de ce courage, avant de constater que son excédent de force se transforme en fardeau plutôt qu’en garantie. Aucun État ne peut réussir si ses armes sont fragmentées, si ses agendas sont disséminés dans plusieurs capitales étrangères et si les loyautés de ses citoyens oscillent entre l’État et un État parallèle.
De la résistance au fardeau national
Depuis les années 1980, le « Hezbollah » brandit l’étendard de la résistance contre Israël. Mais après la libération de 2000, le fusil est passé de l’outil de défense à l’instrument d’une domination interne. Aujourd’hui, dans un contexte d’effondrement économique et d’isolement diplomatique, l’arme n’est plus un bouclier : elle est devenue un fardeau qui entraîne le Liban dans des conflits contraires à ses intérêts.
Pourquoi alors le « Hezbollah » met-il en garde contre la discorde tout en soufflant sur ses braises ? Pourquoi présente-t-il le désarmement comme un suicide tout en se jetant lui-même vers la ruine ? Et pourquoi ne pas reconnaître que la question des armes est née d’un « accident de l’histoire » au cours de près de trois décennies de tutelle syrienne ? La nouvelle ère, inaugurée au début de cette année, a placé la construction d’un Liban souverain, libre et uni au sommet de ses priorités – aussi bien dans le discours d’investiture que dans la déclaration ministérielle.
Le choix inévitable
L’équation est claire : soit le « Hezbollah » remet ses armes et s’engage dans la vie politique sous l’autorité de l’État, soit il poursuit sa voie de soumission à Téhéran – au prix d’un isolement accru, de divisions plus profondes et peut-être d’une confrontation interne.
L’histoire a montré que la véritable résistance se conclut de deux façons : soit par une victoire qui bâtit un État fort, soit par une dérive en un cancer qui dévore ceux-là mêmes pour lesquels elle avait levé les armes. Aujourd’hui, le « Hezbollah » n’a plus qu’une seule voie s’il veut préserver le Liban : devenir un parti politique libanais, non un relais régional.
En définitive, l’arsenal du « Hezbollah » n’est plus un sujet de discussion que l’on peut différer ou contourner. Il est devenu la ligne de démarcation entre un Liban de l’État et un Liban des milices. Soit la légitimité l’emporte, soit la nation entière tombe en otage d’un fusil qui ne se brandit que sur autorisation venue d’au-delà des frontières.