Contexte historique et décision politique

Le 6 août 1945 à 8 h 16, la première bombe atomique utilisée en temps de guerre explose au-dessus de Hiroshima, au Japon. Ce moment marque un tournant décisif dans l’histoire mondiale. L’opération est le fruit du projet Manhattan, lancé secrètement en 1941 par le président Franklin D. Roosevelt, après avoir été alerté par trois scientifiques réfugiés (Szilard, Wigner, Einstein) du danger potentiel que représentait une bombe atomique nazie.

À la mort de Roosevelt, en avril 1945, Harry Truman, alors vice-président, prend la tête du pays. Informé de ce projet ultrasecret par son secrétaire à la Guerre, Henry Stimson, Truman est confronté à un choix difficile : envahir le Japon, ce qui pourrait coûter entre 250 000 et 1 million de vies américaines (sans compter les pertes japonaises), ou recourir à cette arme nouvelle. Après le test concluant de la bombe à Alamogordo (Nouveau-Mexique) le 16 juillet 1945, Truman décide le 24 juillet d'utiliser la bombe atomique pour hâter la fin de la guerre.

Préparatifs militaires et l’équipage de l’Enola Gay

Le colonel Paul Tibbets, pilote chevronné de bombardiers, est chargé de constituer une unité spéciale pour mener cette mission. À Wendover, dans le désert de l’Utah, il recrute une équipe d’aviateurs d’élite, tenus dans l’ignorance de la véritable nature de leur mission jusqu’au dernier moment. Le 6 août 1945, à bord de la Superforteresse B-29 baptisée « Enola Gay » (nom de la mère de Tibbets), l’équipage décolle de la base de Tinian, dans les îles Mariannes, à 2 400 km au sud de Tokyo.

La bombe, surnommée Little Boy, vise le pont Aioi, à Hiroshima. Elle explose à 580 mètres d’altitude, légèrement décalée de sa cible. Le souffle est tel qu’il rattrape l’appareil malgré sa distance de sécurité. Le mitrailleur George Caron, posté à l’arrière, voit l’onde de choc s’abattre sur l’avion. L’équipage pense un instant que le fuselage va se briser. La vision est apocalyptique : un champignon atomique monte jusqu’à 13 000 mètres, et Hiroshima a disparu sous une lave incandescente.

Réactions à bord et impact psychologique

Les témoignages des membres de l’équipage révèlent une immense stupeur face à la dévastation. L’un voit dans le nuage atomique les âmes des morts qui montent au ciel. D’autres décrivent la ville comme un champ de lave, en ébullition. Le capitaine Robert Lewis, copilote, écrit dans son journal : « Mon Dieu, qu’avons-nous fait ? » Bien que profondément marqués, aucun des hommes ne exprimera de remords par la suite, convaincus que leur action a permis d’abréger la guerre.

Réaction internationale et suite des événements

Le 10 août 1945, l’écrivain François Mauriac publie un texte dans Le Figaro soulignant à la fois l’horreur et la crainte que cette arme aurait pu tomber entre de pires mains, comme celle d’Hitler.

La déclaration officielle de Truman, transmise depuis le croiseur USS Augusta, affirme que la bombe lancée sur Hiroshima avait une puissance équivalente à 20 000 tonnes de TNT, soit 2 000 fois plus que la plus grosse bombe britannique utilisée jusque-là.

Le 8 août, les Américains diffusent des tracts au-dessus des villes japonaises pour avertir de la possibilité d’une deuxième attaque si le Japon ne capitule pas. Aucun signe de reddition n’étant donné, une deuxième bombe, plus puissante, est larguée le 9 août sur Nagasaki, ciblant les usines Mitsubishi. Ce sera la dernière frappe nucléaire de la Seconde Guerre mondiale.

La mission de l’Enola Gay, première utilisation de l’arme nucléaire dans un conflit, reste un événement charnière de l’histoire contemporaine. Elle a mis en évidence la puissance destructrice absolue que l’humanité venait de s’approprier. Si l’équipage n’a jamais exprimé de regrets, d’autres, à commencer par des intellectuels ou des journalistes comme Mauriac, ont très vite saisi l'ampleur morale et philosophique de cette rupture : l’homme venait d’entrer dans l’ère nucléaire, avec tout ce que cela implique d’inquiétudes, de responsabilités et de terreur potentielle.