L’année 2025 n’a rien eu d’ordinaire dans le calendrier libanais, et ce, dès ses premiers jours. Après plus de quatre décennies sous la domination successive de « bulles » — politiques, militaires, sécuritaires, partisanes, communautaires et confessionnelles — alimentées par des influences palestiniennes, syriennes, iraniennes et jihadistes, et dans un paysage mêlant fragilité et complexité, le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, a été élu président de la République le 9 janvier. L’élection s’est tenue à la place de l’Étoile en deux tours espacés de deux heures, mettant fin à une vacance présidentielle de plus de 32 mois, depuis la fin du mandat de Michel Aoun le 30 octobre 2022. Elle a marqué le début de la pose de la première pierre pour bâtir un État prometteur sur les décombres laissés par les « mini-États » qui l’avaient précédé.
Un discours prometteur… mais
Dans son discours d’investiture, prononcé aussitôt sa victoire proclamée, le président Joseph Aoun a formulé de grandes promesses, redonnant aux Libanais un certain élan d’orgueil et d’espoir. « Nous traversons une crise de gouvernance qui exige un changement dans la performance politique… dans la philosophie de la reddition de comptes et du contrôle, dans la centralité de l’État et dans la fin du développement déséquilibré, ainsi que dans la lutte contre le chômage, la pauvreté et la désertification humaine et environnementale », a-t-il déclaré.
Mais l’épreuve des intentions n’a pas tardé. Lors d’une séance du Conseil des ministres qu’il a présidée au palais de Baabda, le 5 de ce mois, un point a été présenté visant à instaurer le monopole exclusif de l’État libanais sur les armes présentes sur son territoire — en parfaite cohérence avec son discours et avec la déclaration ministérielle du gouvernement de Nawaf Salam.
Le « Hezbollah » a toutefois lancé une offensive politique, de mobilisation et médiatique contre cette proposition, empêchant qu’elle soit même soumise ou discutée. Ce qui a ravivé la question fondamentale : les armes du parti sont-elles le seul obstacle à l’achèvement du projet de construction de l’État ?
La réponse initiale : oui — sans le moindre doute.
Mais d’autres facteurs tout aussi dangereux existent, au premier rang desquels le « sectarisme attisé » qui persiste, en particulier à Tripoli, ville déjà meurtrie par un temps qui semble s’y être arrêté depuis longtemps.
Tripoli et les inquiétudes historiques
Pour mémoire : les inquiétudes de Tripoli se sont ravivées fin janvier 2021, lors d’épisodes de violence. Des « manifestants » ont attaqué le Sérail — qui abrite le bureau du gouverneur du Nord, Ramzi Nohra, proche du Courant patriotique libre — incendié le bâtiment historique de la municipalité, détruisant ses archives, et poussé l’ancien Premier ministre Nagib Mikati à déclarer sur la chaîne Al-Jadeed : « Il y a cent ans, les Tripolitains ne voulaient pas rejoindre l’État du Grand Liban. »
Ces propos, tout aussi périlleux que les armes, ont ravivé d’anciens débats sur l’idée même du Grand Liban — et plus précisément sur la décision, prise en 1920 par le général français Henri Gouraud, d’annexer le Sud, la Békaa et le Nord à la mutasarrifiya du Mont-Liban.
La position des dirigeants historiques de Tripoli
Les propos de Mikati n’avaient rien d’exceptionnel. Des dirigeants tripolitains avant lui avaient aussi rejeté l’idée du Grand Liban — notamment Abdel Hamid Karami (1887–1950), qui tenta à plusieurs reprises de convaincre le président syrien Choukri al-Quwatli et le Premier ministre égyptien Moustafa el-Nahhas Pacha de retirer Tripoli du jeune État libanais, et Rachid Karami (1921–1987), qui formula la même demande au président Gamal Abdel Nasser. La réponse des dirigeants arabes fut toujours la même : rester dans le Grand Liban.
Cette position a fini par engendrer un climat hostile à la « logique de l’État ». Tripoli a connu des moments charnières qui l’ont confirmé, notamment le soutien à la révolte contre le président Camille Chamoun en 1958, dans le contexte d’un affrontement aigu entre l’Égypte nassérienne et le Pacte de Bagdad, qui entraîna l’intervention des Marines américains. Parmi ces épisodes marquants figurent aussi la création de la « République des recherchés » sous la direction d’Ahmad al-Qaddour en 1973, avant le déclenchement de la guerre civile, ainsi que l’assassinat du gouverneur du Nord, Kassem Imad, en décembre 1975.
Tripoli : ville de diversité et de discorde
Bien que cette Tri-Polis ait jadis été un symbole de diversité — abritant les quartiers des Tyriens, des Sidoniens et des Arwadiens —, ses dirigeants traditionnels ont toujours insisté pour lui ôter cette dimension symbolique, l’utilisant plutôt comme carte de pression contre l’État central. Ainsi, le prestige de l’État est resté en jeu du Sud au Nord.
D’où une autre question pressante : l’État libanais imposera-t-il son autorité uniquement au Sud, où se trouvent les dernières armes du « Hezbollah » ? Ou bien le projet de rétablissement de l’autorité de l’État s’étendra-t-il aussi au Nord, où perdure — historiquement et encore aujourd’hui — un courant politique, animé par des dirigeants tripolitains, qui a toujours résisté à l’idée du « Grand Liban », devenu depuis 1943 la République libanaise ?
En résumé : le pivot pour bâtir un « Nouveau Liban » se trouve désormais solidement établi au palais de Baabda — plus sain et plus solide que jamais —, du Sud au Nord. Je suis convaincu que cette nouvelle ère libanaise peut accomplir cette mission, à condition que les Libanais — du Sud au Nord — prêtent l’oreille, au-delà du clientélisme et des illusions, à son appel à « vivre ensemble » plutôt qu’à simplement « coexister » sous la bannière d’un pays qui devrait tous nous rassembler.