Le discours prononcé par le président Joseph Aoun à l’occasion de la Fête de l’Armée a éclipsé son allocution d’investiture. Si son serment présidentiel avait tracé les grandes lignes d’un programme complet, l’allocution de la fête de l'armée portait, elle, des dimensions nationales décisives.
Les propos d’Aoun interviennent dans le sillage d’un discours du secrétaire général adjoint du « Hezbollah », cheikh Naim Qassem, qui a catégoriquement rejeté la remise des armes du parti, sauf à l’État — et uniquement dans le cadre d’un dialogue défini par le « Hezbollah » lui-même.
Saisissant l’initiative, Aoun a dressé un portrait précis de la scène intérieure, liant l’arsenal du « Hezbollah » au rôle de l’armée. Entre les lignes, il a fait comprendre qu’en tant que président de la République et commandant en chef des forces armées, il fixe le cap de la prochaine étape. Ce faisant, il a repris la main sur la question des armes, en la plaçant dans le cadre défini par l’État et les institutions constitutionnelles — et non selon les conditions dictées par le « Hezbollah ».
En abordant la question des armes, et à la veille d’une séance du Conseil des ministres, Aoun a également désamorcé une éventuelle crise gouvernementale, évoquant le rôle et les prérogatives de l’exécutif, louant ses ministres et réaffirmant leur importance dans cette période sensible.
La question du désarmement du « Hezbollah » demeure l’un des défis politiques et sécuritaires les plus complexes au Liban et dans la région, mêlant sécurité nationale, équilibres internes et conflits régionaux et internationaux. Elle fait depuis longtemps l’objet d’un débat houleux à l’intérieur et de pressions croissantes de l’extérieur, notamment des États-Unis et de pays européens, dans le cadre des efforts visant à imposer le principe de « l’exclusivité des armes entre les mains de l’État ».
Quelles garanties sont nécessaires ?
Les dirigeants du « Hezbollah » affirment ne pas rejeter le principe du désarmement, mais conditionnent toute avancée en ce sens à un ensemble de garanties liées à la sécurité du Liban, à celle de la communauté chiite, à l’équilibre des forces au sein de l’État libanais et au maintien de ce qu’ils qualifient de capacités de dissuasion face à Israël.
Ces garanties incluent :
- Des assurances quant à la fin des attaques israéliennes contre le Liban, en particulier dans le Sud, ainsi que contre les membres, dirigeants et infrastructures du « Hezbollah ».
- Le retrait d’Israël des territoires libanais qu’il occupe encore (les cinq points frontaliers) et la démarcation définitive des frontières.
- La libération des prisonniers libanais détenus en Israël dans le cadre de tout règlement global.
- Des garanties pour la reconstruction et l’indemnisation du Liban, notamment dans le Sud, la Békaa et la banlieue sud de Beyrouth.
- Une stratégie nationale de défense intégrant les armes du « Hezbollah » dans un système national, avec la garantie de la participation du parti aux décisions de défense afin de préserver sa capacité de dissuasion.
Qui peut offrir de telles garanties ?
Aucune partie ne peut, à elle seule, fournir l’ensemble de ces garanties. Les garants potentiels se répartissent entre :
- Israël, partie concernée par l’arrêt des opérations militaires, l’achèvement du retrait et la délimitation des frontières. Mais l’expérience du « Hezbollah » avec Israël, selon ses dirigeants, est négative, accusant Tel-Aviv de contourner ou de renier ses engagements.
- Les États-Unis, principaux parrains des négociations et initiatives, ayant influence sur Israël. Mais le « Hezbollah » doute de la capacité — ou de la volonté — de Washington d’exercer une pression réelle sur Tel-Aviv pour assurer le respect des engagements.
- Les Nations unies ou autres instances internationales, avec la FINUL ou le Conseil de sécurité et ses résolutions, telles que la résolution 1701, servant de cadre juridique et opérationnel à tout accord potentiel, notamment en matière de supervision et de garanties internationales contraignantes.
- L’État libanais, censé assumer la responsabilité du monopole des armes et garantir le partenariat politique sans marginaliser aucun groupe national. Cependant, le « Hezbollah » ne cesse de souligner la « faiblesse et la capacité limitée de l’État » — sans reconnaître sa propre part de responsabilité dans cette faiblesse.
Et si Israël refuse de fournir des garanties et que les États-Unis n’exercent aucune pression ?
C’est là le cœur de l’impasse actuelle. Israël insiste pour poursuivre ses opérations contre les membres et infrastructures du « Hezbollah », qu’il considère comme de la légitime défense. Il refuse de fournir des garanties écrites ou internationales contraignantes empêchant de futures opérations. Les États-Unis considèrent les opérations israéliennes au Liban comme « limitées » ou « nécessaires pour la sécurité », continuent de soutenir Israël et rejettent toute pression susceptible de restreindre sa liberté d’action militaire.
Dans ce scénario, le « Hezbollah » se retrouve face à une équation impossible : sans garanties sérieuses et crédibles d’Israël et des États-Unis pour mettre fin aux opérations et se limiter au retrait, tout accord de désarmement serait, aux yeux du parti et de sa base, un pari dangereux sur la sécurité de la communauté chiite et du Liban dans son ensemble.
Des garanties qui pourraient être acceptables
En l’absence de garanties directes d’Israël et de pressions efficaces de Washington, plusieurs options émergent — certaines théoriques, d’autres partiellement réalistes :
- Garanties internationales élargies : Saisir le Conseil de sécurité de l’ONU pour obtenir une nouvelle résolution obligeant explicitement Israël à cesser toute opération sur le territoire libanais, avec des mécanismes de contrôle stricts et neutres, comme un comité international élargi ou des forces onusiennes disposant de pouvoirs exécutifs renforcés.
- Garanties collectives régionales et internationales : Impliquer des puissances régionales comme la France ou la Russie, voire certains États arabes influents, dans un accord international multilatéral. Une telle formule pourrait conférer un poids politique plus important et rendre plus coûteuse, sur le plan international, toute violation par Israël.
- Garanties politiques et constitutionnelles internes : Conclure un accord national sur une stratégie de défense garantissant au « Hezbollah » et à ses alliés un partenariat complet et une protection politico-confessionnelle, notamment au sein des institutions sécuritaires, réduisant ainsi le risque d’un ciblage interne après le désarmement.
Le président a d’ailleurs exhorté les partis et composantes libanaises à cesser de provoquer la base populaire du « Hezbollah », à l’aborder avec compréhension et à reconnaître ses préoccupations, en assurant son rôle aux côtés des autres composantes nationales. Mais les adversaires du parti estiment que ce sont eux qui ont besoin d’être rassurés et protégés de toute provocation, car ils sont désarmés tandis que le « Hezbollah » conserve un arsenal mobile.
Face à des positions aussi figées, restent dans l’ombre les cartes que le président Aoun pourrait détenir pour ouvrir les portes closes et débloquer les impasses, ainsi que sa confiance en sa capacité à rapprocher les contraires et accomplir l’improbable.