La reconnaissance imminente de l’État de Palestine par la France marquera l’un des soutiens internationaux les plus significatifs à ce jour parmi les pays ayant déjà franchi ce pas. Mais la question demeure : quel impact réel cette décision, attendue depuis longtemps, pourra-t-elle avoir ?
Indéniablement, cette reconnaissance revêt un poids symbolique et moral — surtout alors qu’Israël poursuit sa guerre implacable contre Gaza, aujourd’hui plongé dans une famine sans précédent. Sur le plan politique, elle s’inscrit dans une campagne internationale croissante à l’encontre d’Israël, nourrie par la colère mondiale grandissante face à son gouvernement. En tant que première reconnaissance émanant d’un pays du G7, elle mettra sous pression d’autres grandes puissances — notamment le Royaume-Uni — pour qu’elles emboîtent le pas.
Cette initiative s’inscrit cependant dans un processus historique au long cours, dont les effets ne se feront sentir qu’au bout de nombreuses années. Et si les résolutions internationales peuvent servir de socle à des développements futurs, le paradoxe est que cette reconnaissance intervient à l’un des moments les plus sombres pour la cause palestinienne.
Sur le terrain, la réalité est marquée par des fractures palestiniennes inédites, des divisions internes profondes et l’absence totale de soutien concret à la cause. Israël avance ses projets de colonisation et d’annexion en Cisjordanie — en réaction directe à cette reconnaissance — tout en poursuivant son agenda le plus dangereux : le déplacement de populations. Une politique qui a des répercussions directes sur le Liban, hanté depuis longtemps par le spectre d’un établissement permanent des réfugiés palestiniens.
La diaspora palestinienne demeure fragmentée à travers le monde, mais la situation au Liban est particulièrement volatile, toujours au bord de l’embrasement. Les promesses de régler la question des factions armées se sont, comme prévu, évaporées. La scène politique et sécuritaire libanaise reflète d’ailleurs les divisions internes palestiniennes.
Les efforts de réconciliation — notamment entre les factions de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et celles qui lui sont extérieures, en particulier le Hamas — ont échoué. L’espoir d’élections conduisant à un nouveau gouvernement palestinien s’est dissipé. Les tensions entre le Fatah, colonne vertébrale de l’Autorité palestinienne, et le Hamas se sont aggravées au point de quasi-rupture. Il n’est plus sérieusement question d’un « lendemain » politique pour Gaza ; l’objectif le plus réaliste désormais est la mise en place d’une administration locale limitée, dépourvue de véritables pouvoirs — un projet déjà semé d’embûches.
Le président Mahmoud Abbas continue d’agir dans le cadre de l’Autorité, et non d’un État — malgré la reconnaissance de près de 200 pays, l’existence d’une constitution et des frontières définies. Le Hamas, quant à lui, s’accroche à son autorité sur Gaza, aujourd’hui réduite en ruines, alors qu’Israël poursuit sa campagne de destruction. Le perdant permanent reste le peuple palestinien.
Au milieu de ces divisions, le plan israélien apparaît limpide : maintenir environ un demi-million de Palestiniens à Gaza et expulser le reste — certains volontairement grâce à des incitations, d’autres par la force. Cette stratégie représente une menace directe pour les pays voisins, en particulier l’Égypte et la Jordanie. Israël envisagerait de déplacer 750 000 Palestiniens détenteurs de la nationalité jordanienne, comptant sur la facilité relative de leur relocalisation — avant de s’orienter, dans un scénario progressif, vers le déplacement des Palestiniens de Galilée vers le Liban.
Ce plan se déploie par étapes, chacune dépendant du succès de la précédente — un scénario que beaucoup jugent improbable. Néanmoins, les implications pour le Liban demeurent préoccupantes.
Les camps palestiniens au Liban vivent déjà dans des conditions dramatiques. L’aide de l’UNRWA diminue, et le nombre exact de Palestiniens au Liban reste incertain. Les statistiques officielles les chiffrent à 174 000, tandis que les registres en comptent 155 000. En réalité, les estimations les situent entre 220 000 et 250 000 — un chiffre conséquent pour un petit pays comme le Liban, à l’équilibre confessionnel fragile et exposé aux projets de réinstallation et de déplacement. Le risque d’un établissement durable et la présence d’armes palestiniennes — conservées par certaines factions — menacent d’alimenter des troubles futurs.
Lors de sa récente visite, le président Abbas a multiplié les promesses concernant le stockage, la régulation et le retrait des armes. Pourtant, il s’est rapidement employé à former une Force de sécurité nationale, se positionnant dans un axe opposé au Hezbollah. Tout en cherchant à affermir son autorité sur les Palestiniens du Liban, il est clair que les camps échappent à son contrôle. De nombreuses factions agissent de manière autonome, et même au sein du Fatah, certaines composantes défient son leadership.
Au-delà des deux principales factions rivales — le Hamas et le Courant réformateur démocratique — le Fatah lui-même a échoué, lors d’affrontements il y a deux ans, à éliminer certains groupes armés, laissant leurs zones d’influence intactes. Bien que militairement faibles, ces groupes conservent une capacité de nuisance.
La question des armes au Liban dépend de facteurs échappant au contrôle des factions comme de l’Autorité palestinienne. Le Hamas, dont l’influence dans les camps s’est accrue ces dernières années, bénéficie de la protection du Hezbollah. Certains espéraient qu’il consoliderait sa position en nouant des liens avec le président Joseph Aoun, en contournant le Comité de dialogue libano-palestinien rattaché à la Primature. Mais le président du Parlement, Nabih Berri, lui a apporté un certain soutien par le biais du Comité d’action commune, qui opère entre les instances politiques, militaires et sécuritaires.
Aujourd’hui, des efforts sont en cours pour restaurer l’unité de la communauté palestinienne au Liban, à commencer par la réorganisation du Fatah. L’objectif plus large est de créer un espace au sein du Comité d’action commune pour le Hamas, afin qu’il ne soit pas marginalisé politiquement au Liban.
Sur la scène palestinienne, chacun reconnaît l’urgence de l’unité — et que la résolution de la question des armes doit être une priorité dans le cadre d’un règlement global. Toute solution durable nécessiterait l’aval du Hezbollah, pour ses propres raisons, même si le parti le rejette publiquement par tactique.
À ce moment charnière, une contribution palestinienne à la stabilité du Liban est plus nécessaire que jamais, parallèlement à la reconnaissance des droits palestiniens bafoués depuis des décennies. Mais pour l’heure, tout cela relève encore du domaine des aspirations. La situation palestinienne reste complexe, imbriquée dans des dynamiques régionales, et aucune solution ne semble en vue.