Depuis 2019, le Liban – autrefois considéré comme un modèle de stabilité économique au Moyen-Orient – traverse l’un des effondrements financiers les plus graves de l’histoire contemporaine. Le produit intérieur brut (PIB) a chuté de plus de 40 %, l’inflation a dépassé les 200 %, et la livre libanaise a perdu plus de 98 % de sa valeur. Le pays est entré dans une spirale de chute libre. Cet article propose une stratégie de relance complète et structurée, articulée autour de trois piliers fondamentaux : la stabilité monétaire et financière, la gouvernance et la lutte contre la corruption, et la réforme économique structurelle. L’objectif est de rétablir la stabilité économique, redonner au Liban sa crédibilité financière et créer les conditions favorables à une croissance durable à long terme.
Pilier I : Stabilité monétaire et financière
Ce pilier vise à restaurer la confiance dans le système monétaire et le secteur financier libanais, avec un horizon de mise en œuvre de six mois à partir du lancement du plan. Une mesure centrale consiste à unifier les deux taux de change qui ont déformé l’économie et nui gravement à la monnaie nationale. Le taux unifié proposé serait semi-flottant, géré par la Banque du Liban conformément aux recommandations du Fonds monétaire international (FMI) pour obtenir son soutien.
Le secteur bancaire libanais, paralysé par une grave crise de liquidité depuis 2019, nécessite une restructuration urgente. Cette restructuration requiert des audits complets et transparents de la Banque du Liban, des banques commerciales ainsi que des ministères des Finances et de l’Économie, en particulier pour la période des subventions. Ces audits permettraient de répartir équitablement la charge du déficit en fonction des responsabilités – entre l’État, la Banque du Liban, les banques commerciales et les contrevenants à la loi 44/2015.
Le processus commence par l’adoption d’une loi de contrôle des capitaux équitable et à court terme, remplaçant les restrictions arbitraires par un cadre légal garantissant justice et stabilité. Parallèlement, il faut lutter contre l’économie informelle en imposant un plafond aux transactions en espèces et en généralisant les moyens de paiement électroniques, en particulier dans le commerce de détail, pour intégrer l’économie dans le secteur formel soumis à l’impôt.
L’élément le plus crucial est une déclaration gouvernementale claire et sans équivoque garantissant les dépôts bancaires, sous réserve du respect strict de la loi 44/2015. Cette déclaration, accompagnée d’un plan de relance transparent et d’un mécanisme fiable, constituerait le fondement du retour de la confiance.
Il est également nécessaire d’injecter 10 milliards de dollars dans le secteur bancaire et de permettre aux déposants d’accéder pleinement à leurs comptes, dans la limite du contrôle des capitaux, pour effectuer des paiements intérieurs (impôts, soins de santé, scolarité, alimentation…).
Pilier II : Gouvernance et lutte contre la corruption
S’étendant sur une période de 6 à 18 mois, cette phase vise à mettre en œuvre des réformes de gouvernance majeures, avec en priorité la lutte contre la corruption systémique – un facteur clé de l’effondrement économique du Liban. Elle insiste sur la nécessité de restaurer l’intégrité des institutions, de renforcer la reddition des comptes, et d’aligner les pratiques nationales sur les normes internationales afin de favoriser une reprise inclusive.
Aucune relance économique ne pourra réussir sans traiter la culture de l’impunité et la mauvaise gestion des finances publiques. Cela exige des enquêtes judiciaires indépendantes, notamment sur les dépenses de la période des subventions et sur les 27 milliards de dollars manquants dans les comptes de l’État. Ces enquêtes doivent être apolitiques et juridiquement appuyées.
Une autre réforme essentielle concerne la fiscalité : renforcer les contrôles, lutter contre l’évasion fiscale, auditer rigoureusement les registres, et durcir les sanctions. Cela permettra d’élargir la base fiscale et d’augmenter les recettes publiques à consacrer aux services essentiels.
Il est également impératif de respecter les engagements financiers et les normes internationales pour relancer les flux financiers extérieurs et attirer les aides internationales. Cela inclut la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ainsi que la révision des lois sur le secret bancaire afin de permettre des audits externes et des enquêtes judiciaires sur le système bancaire.
Pilier III : Réforme économique structurelle
Ce dernier pilier, prévu sur une période de 18 à 36 mois, vise à refonder le modèle économique et financier du Liban sur des bases durables. La restructuration du secteur public – tant sur le plan institutionnel que budgétaire – permettra de réduire les inefficacités et d’alléger le fardeau fiscal.
Les partenariats public-privé (PPP) joueront un rôle clé, notamment dans des secteurs stratégiques comme l’énergie. La restructuration de la dette publique contribuera à stabiliser durablement les finances. Ces mesures doivent s’accompagner d’un élargissement du filet de sécurité sociale pour couvrir intégralement les populations les plus vulnérables.
La lutte contre la corruption est également essentielle pour réduire le déficit budgétaire, et doit aller de pair avec une meilleure gestion des dépenses publiques.
Des résultats concrets
Si elle est mise en œuvre correctement, cette stratégie peut générer des bénéfices économiques significatifs :
- Croissance du PIB : estimée entre 4,5 % et 6 %
- Hausse des recettes fiscales : grâce à la formalisation de l’économie et à la réduction de l’évasion, les recettes fiscales pourraient augmenter de 4 à 6 % du PIB, soit environ 2 à 3 % de plus chaque année
- Maîtrise de l’inflation : avec un taux de change unifié et une politique monétaire cohérente, l’inflation pourrait baisser à 15–20 % par an
- Réduction du déficit budgétaire : il pourrait descendre sous les 3 % du PIB grâce à la réforme de l’administration publique et à l’augmentation des recettes
Données de référence
Les graphiques ci-joints (figures 1, 2 et 3) reposent sur des simulations effectuées par l’auteur à partir des données actuelles du FMI, de la Banque mondiale, de la Direction centrale des statistiques et de la Banque du Liban. Ces résultats confirment une certitude : sortir de la crise est possible — si un plan crédible est mis en œuvre.
Figure 1 : Prévisions d’inflation et de déficit budgétaire aux différentes phases du plan
Figure 2 : Prévisions de croissance économique et d’endettement public
Figure 3 : Prévisions de recettes budgétaires aux différentes étapes du plan