Plus d’une décennie après leur déplacement, les espoirs se ravivent autour d’un possible retour des réfugiés syriens dans leur pays d’origine. Au fil des années, l’augmentation constante de leur nombre — estimée aujourd’hui à près du tiers de la population libanaise — a amplifié les crises successives que traverse le Liban. L’impact économique en particulier a été lourd. Lors du Cinquième Sommet de Bruxelles, l’ancien Premier ministre Hassan Diab a estimé les pertes économiques du Liban liées à la crise des réfugiés à 46,5 milliards de dollars entre 2011 et 2018, soit une moyenne annuelle de 6,6 milliards. En parallèle, les aides perçues par le Liban entre 2015 et 2022 n’ont atteint que 9 milliards de dollars, soit environ 1,2 milliard par an, selon les chiffres du HCR.

Aujourd’hui, alors que les organisations internationales lèvent progressivement leurs réserves sur le retour des réfugiés et qu’un cadre organisationnel et financier est mis en place, ce retour peut-il réellement se concrétiser ? Et quel en serait l’impact sur l’économie libanaise déjà vacillante ?

Une nouvelle phase, internationalement soutenue

Contrairement aux tentatives précédentes, ce plan de retour bénéficie cette fois du soutien d’organisations internationales, d’un calendrier structuré et de financements assurés. Les fonds sont répartis entre deux programmes : le retour volontaire individuel et le retour volontaire organisé. Chaque membre d’une famille retournant en Syrie reçoit une aide unique de 100 dollars, et chaque foyer bénéficie d’un soutien supplémentaire de 400 dollars pour faciliter la réintégration. Ces aides sont distribuées par le HCR en territoire syrien.

Cependant, si la phase volontaire n’atteint pas les objectifs escomptés, une transition vers des retours forcés pourrait être envisagée après un an, en fonction des résultats observés.

Une impasse annoncée ?

Fidèle aux approches traditionnelles, le plan repose sur une stratégie de « carotte et bâton ». D’un côté, les gouvernements libanais et syrien, avec le soutien d’agences internationales, ont supprimé les amendes de retard pour les réfugiés, facilité leur transport et accéléré les procédures administratives en Syrie. De l’autre, le HCR a annoncé qu’il mettrait fin, d’ici la fin de l’année, à l’ensemble de ses aides médicales pour les réfugiés présents au Liban, en raison d’un manque critique de financement.

Mais l’opération pourrait bien être vouée à l’échec. Comme le dit l’adage : « le cheval est mort ». Ni la carotte, ni le bâton ne suffiront si les conditions de vie, économiques et sécuritaires en Syrie ne sont pas meilleures — même légèrement — que celles, pourtant précaires, du Liban.

Les défis économiques de la Syrie

L’économie syrienne tente de se transformer en profondeur, passant d’un modèle quasi socialiste à une logique néolibérale. Mais cette transition, à la fois structurelle et mentale, nécessitera du temps, des investissements, et un climat stable. Or, à l’heure actuelle, les perspectives restent sombres.

Un rapport du PNUD indique que 90 % de la population syrienne vit dans la pauvreté multidimensionnelle, et que 66 % se trouvent sous le seuil de pauvreté extrême. La moitié des ménages ne parvient pas à couvrir ses besoins fondamentaux. Malgré les promesses d’augmenter les salaires de 400 %, la majorité des fonctionnaires n’a reçu qu’un doublement de salaires, plafonnant autour de 25 dollars par mois. Ces hausses sont en outre financées temporairement par une aide qatarie de 29 millions de dollars par mois, sur trois mois.

Dans le secteur privé, le salaire minimum atteint environ 750 000 livres syriennes — soit 75 dollars au taux de change de 10 000 livres pour un dollar. L’État syrien est par ailleurs incapable de financer des hausses de salaires pour ses 1,3 million de fonctionnaires.

Un PIB par habitant en chute libre

Selon le rapport conjoint de la CEA (CESAO) et de la CNUCED intitulé « La Syrie à la croisée des chemins : vers une transition stable », il faudrait que l’économie syrienne croisse de 13 % par an entre 2024 et 2030 pour ramener le PIB par habitant à la moitié de son niveau d’avant 2011. Pour espérer atteindre un PIB par habitant de 5 000 dollars d’ici 2035 — un objectif pourtant modeste — une croissance annuelle de 20 % serait nécessaire.

Une sécurité toujours précaire

Ces ambitions économiques se heurtent à une réalité politique et sécuritaire extrêmement fragile, qui dissuade tout investissement. Même les régions syriennes riches en pétrole — estimées à contenir 2,5 milliards de barils — restent sous le contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par les États-Unis, hors de portée du pouvoir central de Damas.

Le Liban, malgré tout, reste plus attractif

Face à ces constats, rester au Liban peut sembler plus rationnel pour bon nombre de travailleurs syriens. Les ouvriers non qualifiés gagnent entre 10 et 20 dollars par jour pour sept heures de travail, ce qui représente entre 250 et plus de 1 000 dollars par mois — plusieurs fois plus que ce qu’ils toucheraient en Syrie.

On estime que 750 000 à 1 million de réfugiés syriens au Liban font partie de la population active, un chiffre proche de celui des travailleurs libanais du secteur privé.

La véritable solution au déséquilibre du marché du travail au Liban ne réside donc pas dans un retour symbolique des réfugiés, mais dans l’application stricte de la réglementation. Cela passe par l’obligation de permis de travail pour tous les étrangers sans exception, leur inscription à la sécurité sociale, des poursuites pour les professions interdites, et l’application de taxes et de redevances équivalentes à celles imposées aux autres travailleurs étrangers.

Ces mesures, bien qu’imparfaites, alourdiraient la charge sur les employeurs et les travailleurs, et pourraient ainsi inciter, progressivement, à un remplacement de la main-d’œuvre syrienne par des travailleurs libanais.