D’une bourgade perdue au cœur du désert, peuplée de seulement 800 habitants, Las Vegas s’est transformée en une ville qui ne dort jamais — une légende bâtie sur les tables de jeu, les jetons de poker et les paris qui ne rapportent… qu’une seule fois, si la chance est au rendez-vous. Las Vegas n’est pas née dans le péché, mais elle l’a rapidement adopté, en a fait une identité, et en a tiré sa gloire.
Le grand tournant remonte à 1931, lorsque l’État du Nevada légalise le jeu à un moment clé, coïncidant avec le lancement du chantier du barrage Hoover. Ce projet colossal attire des milliers d’ouvriers dans la région. Éreintés par leurs longues journées sous un soleil de plomb, ils affluent vers Las Vegas pour passer leurs soirées à jouer à la roulette ou au blackjack sur Fremont Street. La ville s’animait à chaque quinzaine, au moment des salaires, avant de retomber dans son silence désertique.
Mais pour devenir une véritable « Mecque du jeu », il fallait davantage que quelques machines à sous : il fallait du capital, de l’expérience, et une bonne dose d’audace. Cette audace vint de Los Angeles — non pas dans des jets privés, mais dans les voitures de fugitifs. À la fin des années 1930, Las Vegas commence à accueillir une vague d’opérateurs de jeux illégaux expulsés de Californie. Parmi eux, Guy McAfee, ancien policier de la brigade des mœurs devenu magnat du jeu. Fuyant les poursuites judiciaires, il se réinvente à Las Vegas sous les traits d’un investisseur respectable.
En 1941, une idée révolutionnaire change la donne : El Rancho Vegas, le premier complexe hôtelier combinant hébergement et casino, ouvre ses portes sur une route isolée baptisée plus tard par McAfee « The Strip ». C’est là, précisément, que le jeu devient une expérience touristique à part entière, et non plus une aventure clandestine dans les ruelles sombres.
L’attrait du projet attire rapidement les investisseurs. Les casinos et les hôtels se multiplient, au cœur de la ville comme dans la localité voisine de Paradise, créée par les promoteurs pour échapper aux taxes de Las Vegas. Ce succès attire alors une troisième force, bien plus redoutable : la mafia. De New York à Chicago, les familles mafieuses voient dans Vegas une occasion en or — un endroit où, à l’abri de la loi, elles peuvent poursuivre leurs affaires dans la lumière. Elles investissent alors massivement.
Mais dans les années 1960, le vent tourne. Les grands noms du crime organisé commencent à se retirer, cédant la place aux hommes d’affaires légitimes. L’industriel Howard Hughes achète l’hôtel Desert Inn, puis enchaîne les acquisitions. En 1967, une loi autorise les sociétés à posséder des casinos. C’est le début d’une nouvelle ère : celle de l’investissement « propre » et de la régulation.
Si le jeu reste au cœur de l’identité de Vegas, la ville redéfinit sa vocation. Elle ne se limite plus à faire gagner ou perdre de l’argent : elle devient capitale des congrès, des spectacles, des sports de combat, et des festivités uniques au monde.
Ainsi, Las Vegas est passée du sable du désert au sommet de la renommée — là où l’argent parle, l’histoire fait un clin d’œil, et la mafia observe désormais… de loin.