Si, comme le dit le proverbe populaire, « rien ne dure éternellement », la flambée des prix au Liban semble pourtant faire exception, tant elle s’apparente à un destin auquel le pays ne peut échapper. Et cela ne changera pas de sitôt, à moins que les responsables ne renoncent à leurs politiques économiques et sociales stériles. Aujourd’hui, le Liban se classe au troisième rang des pays arabes où le coût de la vie est le plus élevé, derrière le Qatar et les Émirats arabes unis.
Il y a quelques jours, l’Administration centrale des statistiques a publié son indice des prix à la consommation (IPC) pour le mois de mai 2025. Les chiffres font état d’une hausse des prix de 1,3 % par rapport au mois d’avril et de 14,5 % sur un an — ce qui signifie que les biens et services coûtent près de 15 % de plus qu’en mai 2024. Ces augmentations marquées, mois après mois, suscitent de nombreuses questions, d’autant que le taux de change est resté relativement stable, autour de 89 500 livres libanaises pour un dollar, et que les prix mondiaux n’ont pas connu de flambées spectaculaires — pas même au plus fort de l’escalade du conflit entre l’Iran et Israël.
Les causes de la hausse des prix
La hausse de l’IPC au Liban — qui couvre 12 grandes catégories de biens et de services consommés régulièrement — résulte de deux raisons principales : l’une officielle, l’autre sous-jacente.
Les raisons officielles incluent :
- Les variations périodiques de l’offre et de la demande, touchant notamment des produits locaux comme les fruits et légumes, ou des produits importés comme le café, le cacao ou les céréales. Par exemple, le rapport du 26 mai du ministère de l’Économie sur le panier alimentaire a révélé une baisse de 5,8 % des prix des légumes, une stabilité des prix des conserves, et une hausse inférieure à 1 % des prix de la viande, des œufs et des produits laitiers. Quant aux fruits, leurs prix ont augmenté d’environ 2 %.
- L’inflation importée, due à la hausse des prix mondiaux, comme celle du blé, qui a entraîné une augmentation des prix de la farine. S’ajoutent à cela les coûts croissants du transport maritime, liés à la hausse des prix des carburants et des assurances, ainsi qu’au rallongement des routes maritimes pour éviter les zones de conflit, comme la mer Rouge.
- Les ajustements de prix dans certains secteurs, notamment les services. Sur un an, les frais de scolarité ont bondi de 30,74 %, les loyers de 27 %, et les coûts de santé de 21,61 %.
La cause sous-jacente :
Au-delà de ces facteurs officiels, le véritable moteur de cette flambée des prix reste l’absence de concurrence sur les marchés.
Comme le souligne le Dr Zahir Berro, président de l’Association des consommateurs du Liban : « Inutile de blâmer l’absence de contrôle des prix dans une économie de marché : il n’existe pas de véritable contrôle des prix dans ce système. » Cette excuse sert surtout à masquer les véritables problèmes structurels :
- En premier lieu, la concentration des marchés et l’absence de concurrence. Une loi controversée de 2022 (loi 281) a instauré l’Autorité nationale de la concurrence, mais ses décrets d’application n’ont toujours pas été publiés après plus de trois ans. Cette loi laisse de nombreuses brèches, comme le maintien des agences exclusives pendant trois ans et la définition d’une position dominante à partir de 35 % de parts de marché — un seuil bien supérieur aux 15 % pratiqués dans d’autres pays, qui permet à trois opérateurs de contrôler un marché entier.
- Ensuite, la très forte dépendance du Liban aux importations, qui représentent plus de 90 % de la consommation nationale — une fragilité accentuée par une élite politique étroitement liée au commerce.
- Enfin, l’instabilité politique et sécuritaire chronique, qui entretient l’incertitude économique.
Ainsi, le Liban semble condamné — pour longtemps encore — à subir la spirale des prix. Même des hausses mensuelles modestes de 1 à 2 % aboutissent à une inflation annuelle dépassant 15 %, soit plus de sept fois les objectifs d’inflation des grandes économies mondiales.