Nichée au cœur du district de Koura, la ville d’Anfé s’étend paisiblement le long de la côte méditerranéenne, telle une toile bleue sereine, porteuse d’une histoire riche et d’une forte identité. Bien plus qu’un simple village côtier, Anfé est la seule localité maritime du Koura, et représente un exemple rare au Liban de ce que peut être un tourisme intégré et durable : un modèle qui fusionne patrimoine naturel et culturel tout en façonnant un avenir ancré dans l’authenticité du passé et conscient des défis du présent.

Selon la Dre Mirna Semaan, présidente de l’association « Les Amis de la Nature », citée par Al-Safa News, « le nom Anfé viendrait probablement de sa formation géographique unique — perchée sur une avancée rocheuse d’environ 400 mètres en forme de nez, scrutant l’horizon marin avec une vigilance intemporelle. Ce promontoire a conféré à la ville une position stratégique majeure à l’époque phénicienne, période durant laquelle Anfé servait de port actif et de carrefour culturel, dont l’empreinte est encore visible dans l’architecture, les ruines et les sites religieux. »

Ces dernières années, Anfé est devenue une destination prisée à la fois pour l’écotourisme et le tourisme culturel. L’un des moteurs de cette transformation est le lancement par l’association « Les Amis de la Nature » du projet du « Sentier culturel d’Anfé » — un parcours pédestre qui permet aux visiteurs d’explorer la ville à travers une expérience visuelle et historique immersive. Le long du sentier, plusieurs sites évoquent les époques anciennes, notamment la grotte du « Shaq », la plus vaste et la plus lumineuse de la région grâce à des fissures naturelles laissant pénétrer les rayons du soleil et révélant un passé enfoui. Des ossements, poteries et fossiles retrouvés sur place témoignent du passage de l’homme préhistorique, laissant des traces ancrées dans la roche et le sel.

Outre ce trésor naturel, Anfé se distingue par deux églises patrimoniales illustrant sa profondeur spirituelle et religieuse. L’église de « Notre-Dame du Vent », érigée sur les vestiges d’un ancien temple païen, continue de faire résonner ses prières au-dessus des rochers marins, tandis que l’église Sainte-Catherine, avec sa façade romane et sa croix méridionale, se singularise par sa grande « rosace » circulaire — surnommée « prière de pierre » — la plus grande de ce type dans les églises du Proche-Orient. Par leurs pierres irrégulières et fenêtres asymétriques, ces édifices ne sont pas de simples lieux de culte, mais aussi des témoins du dialogue architectural et civilisationnel libanais.

Mais ce qui rend Anfé vraiment unique, au-delà de son charme historique, c’est sa tradition artisanale de production de sel. Sur son littoral rocheux s’étendent des salines creusées à la main il y a plus d’un siècle. Remplies d’eau de mer et laissées à l’évaporation sous le soleil méditerranéen, elles produisent la précieuse « fleur de sel », l’un des sels naturels les plus purs. Cet artisanat, transmis de génération en génération, est devenu un attrait touristique à part entière, prisé par les amateurs de produits artisanaux et biologiques. Pourtant, cette industrie emblématique est aujourd’hui en danger.

S’adressant à Al-Safa News, Georges Sleiman — producteur local de sel et originaire d’Anfé — alerte : « On reparle d’un projet immobilier qui occuperait 900 000 m²… ne laissant que 80 000 m² pour le monastère et les salines. » Ce projet, bien qu’encore non officialisé, pourrait mettre en péril un héritage culturel et écologique unique. Sleiman dénonce également les menaces environnementales, notamment les dépôts de déchets près du rivage et la réduction des écosystèmes vitaux, menaçant directement la production de sel et la biodiversité locale.

Outre les pressions urbanistiques, les salines font face à des défis économiques et climatiques. L’an dernier, les producteurs ont perdu environ 20 % de leur rendement à cause du dérèglement climatique : des saisons plus courtes, des nuages plus denses, entravant le processus naturel d’évaporation. Produire une tonne de sel local coûte environ 125 dollars, alors que le sel importé se vend à moins de 100 dollars sur le marché libanais, plaçant les producteurs locaux dans une concurrence inéquitable. Plus préoccupant encore, selon Sleiman, est l’absence de reconnaissance officielle de cette industrie : « Personne ne sait si les salines relèvent du ministère de l’Agriculture, des Travaux publics ou de la Culture », ce qui les expose à la négligence et aux abus.

Malgré ces défis, Anfé continue d’incarner une opportunité exemplaire pour construire un projet touristique et de développement équilibré. Ici, l’écotourisme n’est pas qu’un loisir, mais une expérience profonde fondée sur la relation entre l’homme, la nature, le sel et la pierre. Des courts-métrages documentaires sur Anfé ont été présentés dans des festivals internationaux, contribuant à faire découvrir au monde cette petite ville nichée entre mer et mémoire.

Ce dont Anfé a besoin aujourd’hui, ce ne sont pas de vastes projets immobiliers ni de transformations urbaines invasives, mais d’une reconnaissance officielle de ses salines comme sites patrimoniaux et industriels majeurs. Elle a besoin d’un plan global qui renforce son attrait éco-culturel tout en assurant la pérennité et la modernisation de sa production de sel. Un développement authentique ne se construit pas sur les ruines de la mémoire, mais sur un socle solide de patrimoine, d’où peuvent émerger les visions économiques, sociales et environnementales de demain.

Anfé n’est pas une ville ordinaire — c’est un laboratoire vivant du tourisme durable au Liban. Un modèle harmonieux où beauté naturelle et héritage culturel rencontrent artisanat traditionnel et identité collective. Si elle est bien gérée, Anfé pourrait bien devenir une rare success-story libanaise à une époque où ces histoires se font rares.