Alors que les tensions ont dégénéré en guerre ouverte entre Israël et l’Iran, l’anxiété a atteint au Liban des niveaux sans précédent, bien que les affrontements ne se déroulent pas directement sur son territoire. Toutefois, la mémoire collective des Libanais, marquée par des crises incessantes — effondrement économique, pandémie de COVID-19, répercussions de la guerre russo-ukrainienne et frappes israéliennes répétées — les rend extrêmement sensibles à toute escalade régionale. Résultat : une vague de panique générale et une ruée pour sécuriser les produits de première nécessité.
Vague de panique
À la suite des frappes israéliennes contre l’Iran et de la riposte virulente de Téhéran, les Libanais ont afflué en masse dans les supermarchés et les épiceries vendredi soir. Les rayons de conserves, d’huile et de riz ont été rapidement dévalisés, les citoyens se précipitant pour faire des réserves. Ce fut une réaction spontanée, nourrie par la peur de revivre les pénuries ou une flambée des prix, comme ce fut le cas auparavant dans les stations-service ou les pharmacies.
Rima Salim, mère de deux enfants, résume le sentiment général : « Je ne veux pas revivre le traumatisme des rayons vides. Mieux vaut anticiper. » Elle est loin d’être la seule : nombreux sont ceux qui ont préféré faire des stocks de nourriture, de médicaments et de produits pour enfants, malgré les tentatives d’apaisement des autorités.
Suspensions de vols en pleine alerte régionale
La perturbation ne s’est pas limitée aux rayons des supermarchés : le secteur aérien a aussi été impacté. La compagnie Middle East Airlines (MEA) a annoncé la suspension temporaire de ses vols, avant de reprendre partiellement ses opérations le samedi 14 juin après-midi, selon un planning modifié affectant des dizaines de départs et arrivées à l’aéroport de Beyrouth. De son côté, Emirates Airlines a suspendu ses liaisons avec le Liban, alimentant les craintes d’un blocage de l’approvisionnement extérieur.
Si certaines compagnies aériennes ont repris leurs vols, ceux vers l’Irak restent suspendus en raison de la fermeture de son espace aérien, compliquant encore davantage les flux logistiques régionaux.
Craintes sur les importations
Ce que redoutent désormais le plus les Libanais, ce ne sont pas les missiles, mais l’impact du conflit sur le commerce maritime. Le Liban reste en effet fortement dépendant des importations, notamment en blé et matières premières pour l’industrie alimentaire. Rami Nassour, rencontré dans une longue file d’attente devant une boulangerie, partage son inquiétude : « Le pain est indispensable. Si les importations de blé s’arrêtent, nos repas sont menacés. »
Le Liban importe plus de 700 000 tonnes de blé par an. Toute perturbation prolongée des chaînes d’approvisionnement pourrait provoquer des pénuries et alimenter la panique.
Inquiétudes économiques croissantes
Les conséquences économiques de la guerre se font déjà sentir. Les prix du pétrole ont bondi de 12 %, suscitant l’inquiétude des secteurs industriels et commerciaux face à la hausse des coûts de l’énergie et des primes d’assurance sur les produits importés. « Toute hausse des prix du pétrole nous affecte directement », affirme Sarah Hammadeh, employée dans une entreprise privée. « Cela nous pousse à penser sérieusement à faire des stocks, au cas où les choses empireraient. »
Médicaments : pas de crise immédiate, mais la prudence domine
Malgré la présence de files d’attente dans certaines pharmacies, le président de l’Ordre des pharmaciens, Joe Salloum, a rassuré les Libanais : les stocks de médicaments sont actuellement stables, les importations et la production locale se poursuivent normalement. Un plan d’urgence a même été élaboré en coordination avec le ministère de la Santé en cas de détérioration de la situation. Pour l’instant, aucune pénurie critique n’est signalée, mais l’incertitude pousse certains à stocker certains traitements essentiels, par précaution.
Un pays sous tension
Les Libanais ne réagissent pas seulement aux échos des missiles dans la région — ils portent encore le poids de crises anciennes jamais vraiment résolues. Les traumatismes à répétition ont ancré la peur dans leur quotidien : des courses à la pharmacie, de l’aéroport au port.
Et même si le Liban reste — pour l’heure — éloigné du champ de bataille, son économie affaiblie et sa sécurité alimentaire fragile en font l’un des pays les plus vulnérables face à une escalade régionale. Dans un contexte où aucun plafond clair n’encadre la confrontation entre Tel-Aviv et Téhéran, la vigilance reste de mise, et la peur — malheureusement — pleinement justifiée.