L’un des pires destins qu’une nation puisse subir est d’être plongée dans l’incertitude, son peuple et ses institutions dérivant sans boussole. C’est exactement la situation du Liban aujourd’hui — aux prises avec des horizons flous et une perte croissante de repères.

Il y a à peine six mois, le pays entrevoyait une fenêtre de salut. Mais cet espoir s’est rapidement évaporé, dilapidé par des hésitations internes et des blocages externes. Parmi les principaux responsables : un jeu politique circulaire d’évitement, une indécision chronique sur les plans politique et opérationnel, et une incapacité constante à agir.

La paralysie du Liban se déroule dans un contexte explosif : des négociations irano-américaines tendues et suspendues, une offensive israélienne fébrile visant à renverser l’équilibre régional des forces, et ce que certains qualifient de « coalition objective » au Sud entre les sympathisants de « Hezbollah » et les calculs israéliens — en particulier face aux tensions communes avec la FINUL. Pendant ce temps, le supposé « dialogue sur le désarmement » entre la Présidence et le quartier général de « Hezbollah » à Haret Hreik relève davantage du protocole que d’un réel processus politique.

Dans ce brouillard, les mécanismes décisionnels du Liban sont à la dérive. Sa souveraineté, ses promesses de réforme et ses projets de reconstruction sonnent de plus en plus creux.

La communauté internationale a été claire : le Liban approche de sa dernière chance de salut. Pourtant, les dirigeants libanais traitent cet avertissement comme un simple rappel à l’ordre, et demandent un délai… sans présenter au monde aucun argument convaincant pour qu’on le leur accorde.

Certains responsables semblent croire qu’ils peuvent tirer parti des divergences entre émissaires étrangers. L’envoyé français, Jean-Yves Le Drian, donne l’impression que Paris privilégie les réformes, la reconstruction et le renouvellement habituel du mandat de la FINUL. De son côté, Washington semble vouloir changer de cap : selon certaines sources, l’émissaire américain Tom Barrack, attendu la semaine prochaine, mettrait l’accent sur le désarmement de « Hezbollah » et une possible extension — voire suppression — de la mission de la FINUL.

Les dirigeants libanais paraissent également parier sur une prétendue divergence entre le président américain Donald Trump et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Mais leur dernier échange téléphonique a démontré leur alignement — du moins sur les actions d’Israël au Liban et sur la prudence vis-à-vis d’une frappe contre l’Iran tant que les négociations restent en suspens. Après les récents revers à Los Angeles, dans la guerre en Ukraine et la crise de Gaza, Trump pourrait aujourd’hui avoir besoin de Netanyahou plus que jamais. Cela expliquerait son intervention pour empêcher la chute du gouvernement israélien à la Knesset.

Mais même si ces divergences occidentales existent, elles ne justifient pas l’immobilisme libanais actuel. La région évolue à grande vitesse, et la réponse politique du Liban — une classe dirigeante qui avance à pas de tortue — est incapable de suivre.

Les frappes israéliennes sont devenues routinières, implacables. L’armée libanaise, privée de mandat et de moyens, agit désormais plus en observatrice qu’en défenseuse. Elle repère les prochaines cibles ou sert de médiatrice neutre entre la FINUL et les civils affiliés à « Hezbollah ».

La gifle infligée récemment par un membre de « Hezbollah » à un casque bleu irlandais n’est pas un acte isolé — c’est une double insulte : à la souveraineté du Liban et aux Nations Unies. Elle fait écho au meurtre tragique d’un autre soldat irlandais dans le Sud, il y a quelques années, également attribué à des membres de « Hezbollah ».

Certains nourrissent l’espoir que le président du Parlement Nabih Berri se démarque de la ligne de « Hezbollah » — espoir alimenté par un communiqué de la municipalité de Bedyas, qui lui est affiliée, en faveur de la FINUL. Mais cet espoir est mal placé. Son positionnement n’est, au mieux, qu’une manœuvre tactique ponctuelle. Son attachement profond reste inchangé : un soutien inconditionnel au »Hezbollah » à tort ou à raison.

Cette ambiguïté improductive est dangereuse. Elle pourrait laisser la situation échapper à tout contrôle. Certains observateurs prédisent déjà que l’été à venir pourrait marquer l’ultime chapitre d’une guerre dont les épisodes précédents ont déjà dévasté le pays. Le Liban ne peut plus invoquer la peur d’une guerre civile pour justifier son inaction. L’État a le devoir d’affronter ce qui pourrait devenir un épisode sanglant et destructeur.

Aujourd’hui, l’État et « Hezbollah » ont un intérêt commun à désamorcer cette menace. La vraie question est la suivante : l’État peut-il convaincre « Hezbollah » d’abandonner un arsenal désormais obsolète — et surtout, de renoncer à le reconstituer ?

Et plus encore : « Hezbollah » comprend-il le sombre chemin qui l’attend ? Ses ressources logistiques et financières — essentiellement syriennes — sont taries. Le sol se dérobe sous ses pieds.

Faire face à cette réalité exige deux formes distinctes de courage :

Le courage de l’État d’agir.

Et le courage du « Hezbollah » de reculer.

Faute de quoi, ce qui fut jadis une lamentation individuelle — « Si j’avais su »— pourrait bien devenir un regret partagé :

« Si nous avions su ».