Dans une scène qui ne rend aucunement justice à la réputation touristique du Liban, la grotte de Jeita – l’une des merveilles naturelles du pays et son site touristique le plus emblématique – reste fermée en plein cœur de la saison estivale. Comme si l’État avait décidé de tourner le dos à un secteur vital, ignorant les pertes économiques et touristiques engendrées par cette fermeture injustifiée.
Depuis novembre 2024, la grotte est inaccessible aux visiteurs libanais, arabes et étrangers. Et ce, ni en raison d’un incident sécuritaire, ni à cause d’une catastrophe naturelle, ni même pour des difficultés logistiques ou des pannes techniques. Le motif est bien plus affligeant : la négligence de l’État, l’absence de décisions claires, et la lenteur dans l’application de procédures administratives pourtant élémentaires.
Une crise de gestion, pas de légalité
La grotte de Jeita est un bien public relevant du ministère du Tourisme. Elle était gérée depuis plusieurs décennies par une société privée, en vertu d’un contrat de longue durée. Ce contrat a expiré en 2022, puis a été prolongé à titre exceptionnel jusqu’au décès de la directrice de la société. Depuis, toute activité a cessé, dans l’attente d’une décision de l’État pour relancer le site via un nouvel appel d’offres.
Au lieu d’accélérer la rédaction d’un cahier des charges et de lancer un appel d’offres transparent et conforme à la loi dans un délai raisonnable, l’administration s’est enlisée dans la bureaucratie, notamment dans les détails de la loi sur les achats publics. Résultat : plus de six mois de blocage, pendant lesquels le site reste fermé, les revenus s’effondrent, et aucune initiative ne voit le jour pour relancer cette destination touristique phare.
Une commission spéciale chargée d’examiner le dossier a bien été formée, mais elle n’a rien produit de concret. Les discussions stagnent, tandis que le Trésor public perd de précieuses recettes, et que les commerçants de la région souffrent d’une paralysie meurtrière.
Le ministère du Tourisme : « à la recherche d’une solution exceptionnelle »
Contacté par LBCI pour comprendre les raisons de ce retard, le ministère du Tourisme a reconnu être tenu de respecter la loi sur les marchés publics, tout en affirmant chercher une solution légale et temporaire pour rouvrir la grotte avant la fin de la saison estivale. Mais cette « solution » nécessite à son tour une série d’approbations juridiques et financières de la part de plusieurs instances étatiques, ce qui renvoie à nouveau à l’impasse bureaucratique, sans aucune décision rapide en vue.
Josephine Zgheib : « Une faute grave envers le Kesrouan et le Liban »
Pour l’experte en gouvernance et ancienne membre du conseil municipal de Kfardebian, Josephine Zgheib, ce qui se passe est une faute impardonnable envers le secteur touristique libanais, et plus particulièrement envers la région du Kesrouan. Elle déclare :
« En pleine saison touristique, on ferme la grotte de Jeita – le symbole du tourisme naturel au Liban. Ce site, qui a longtemps été la vitrine du pays, se retrouve aujourd’hui bloqué à l’approche de l’été. Et la conséquence ? Des pertes économiques directes pour le Kesrouan et pour tout le secteur touristique libanais. »
Zgheib ne s’est pas arrêtée au cas de la grotte. Elle a également évoqué la suspension des activités de parapente dans la baie de Jounieh – l’une des principales attractions d’aventure pour les touristes – sans justification claire. Pour elle, cette décision ne fait qu’aggraver les dommages infligés à un secteur déjà fragilisé.
« Nous sommes favorables à des cahiers des charges exigeants, à des appels d’offres transparents qui protègent les fonds publics et respectent les sites concernés. Mais ce qui se passe aujourd’hui relève d’une négligence criante et d’une faute envers une région qui vit du tourisme, dans un pays qui a besoin de chaque source de revenu et d’emploi. Oui à l’organisation, aux autorisations, aux cadres juridiques stricts, mais non à l’abandon pur et simple. »
Elle a conclu par un appel direct :
« Le Kesrouan n’est pas une région marginalisée, et nous n’accepterons pas qu’il le devienne. C’est le cri de tous ceux qui travaillent dans le tourisme ici : rouvrez Jeita immédiatement, organisez les activités touristiques au lieu de les bloquer, respectez les gens et leurs moyens de subsistance. Nous sommes prêts à coopérer avec toutes les parties concernées par ce dossier. »
En attendant… qui prendra la décision ?
Face à ces blocages, de sérieuses questions se posent quant à la volonté réelle de l’État de soutenir le secteur touristique – alors même que le pays traverse une crise économique étouffante. Est-il concevable qu’un site de l’envergure de la grotte de Jeita reste fermé aussi longtemps pour de simples complications administratives ?
Y a-t-il une autorité capable de prendre une décision ferme, de frapper du poing sur la table, et de relancer cette destination qui pourrait redonner un peu d’élan au tourisme libanais ? Ou l’État restera-t-il prisonnier de ses lenteurs bureaucratiques, pendant que s’effondre l’un de ses derniers secteurs viables ?
Les Libanais et les touristes attendent. Et le Liban touristique ne peut plus supporter d’autres fermetures ou reports.
Rouvrez Jeita… avant que le tourisme tout entier ne ferme ses portes.