À l’ère du numérique et des réseaux sociaux, il suffit d’un rien pour qu’une habitude étrange ou un contenu insolite devienne viral – et parfois même une affaire florissante qui rapporte des millions. Parmi les tendances les plus controversées et les plus regardées, on retrouve les vidéos de « popping » des boutons (crever les boutons), devenues incontournables sur TikTok, Instagram et d'autres plateformes.
« Ce n’est pas juste mon visage, c’est celui de tous les patients passés par le cabinet d’un dermatologue ! »
C’est par cette phrase que la dermatologue américaine d’origine coréenne, Sandra Lee – plus connue sous le nom de Dr. Pimple Popper – a amorcé sa percée fulgurante vers la célébrité. Tout a commencé par une courte vidéo d’extraction d’un point noir, puis une deuxième, une troisième... Jusqu’à ce que les réactions enthousiastes du public la surprennent. En quelques mois, Sandra Lee devient un phénomène mondial, rassemblant plus de 13 millions d’abonnés et des millions de vues sur sa chaîne YouTube.
D’un contenu « dégoûtant »… à une addiction planétaire
Beaucoup trouvent ces vidéos répugnantes, voire dérangeantes. Pourtant, pour des millions de personnes, elles sont devenues une véritable addiction. Dans les commentaires, on peut lire : « Moi aussi, je suis accro à ces vidéos, et je n’en ai pas honte », tandis que d’autres avouent ne pas pouvoir s’en détourner, malgré le malaise qu’elles peuvent provoquer.
Alors, qu’est-ce qui nous attire autant dans ce genre de contenu ?
L’avis des psychologues : pourquoi aimons-nous autant ces vidéos ?
Pour comprendre cette fascination, nous avons interrogé le Dr Sami Chouman, neuropsychologue, qui nous explique :
« Le cerveau humain est friand de gratification instantanée. Regarder ce type de vidéos active le centre de récompense du cerveau, la zone qui procure une sensation de bien-être. Le fait de faire « éclater » ou « craquer » quelque chose génère une impression de soulagement, comme si un poids psychologique avait été levé. »
Le Dr Chouman compare ce phénomène à un film d’horreur : « On a envie de détourner le regard, mais on ne peut pas s’en empêcher. Il y a une forme de suspense suivi d’un apaisement qui pousse le cerveau à en redemander. »
Il établit même un parallèle avec le café du matin : « Comme certains ont besoin de caféine pour se sentir bien, d’autres ont recours à ces vidéos pour retrouver un équilibre émotionnel. »
Du numérique au réel : le « popping » devient un « game »
Le passage du monde virtuel au monde physique n’a pas tardé. Dans une émission du type Shark Tank aux États-Unis, un entrepreneur a présenté un jouet inspiré de cette tendance : une fausse tête en silicone avec une matière gluante à extraire, simulant l’éclatement de boutons. Un investisseur a proposé 250 000 dollars pour acheter l’idée, donnant ainsi le coup d’envoi de sa commercialisation à l’international.
Aujourd’hui, il existe des dizaines de variantes de ce jouet, disponibles en magasin et sur les applis mobiles. Mieux encore : plus besoin du jouet physique, il suffit de télécharger une application qui reproduit la sensation, rendant le phénomène accessible à tous via leur smartphone.
D’un geste intime à un marché de plus de 12 milliards de dollars
Autrefois pratiquée en cachette, devant un miroir et avec un certain malaise, l’extraction de boutons est aujourd’hui au cœur d’un marché estimé à plus de 12 milliards de dollars. Ce chiffre englobe le contenu numérique, les jeux, la publicité, les produits dermatologiques et même les marques personnelles liées à cette tendance.
Leçon de marketing, de psychologie et de comportement humain
Ce phénomène illustre comment une simple habitude, même étrange ou controversée, peut rencontrer un succès fulgurant dès lors qu’elle touche une corde sensible et instinctive chez l’être humain. C’est la preuve du pouvoir du marketing croisé au contenu et à la technologie : toute habitude – même la plus inattendue – peut devenir une marque, voire une source de revenus considérable.
Au final, que vous regardiez ces vidéos en cachette ou que vous revendiquiez fièrement votre addiction, rappelez-vous que ce que vous voyez à l’écran n’est pas qu’un bouton éclaté : c’est le reflet profond de l’esprit humain – sa quête de soulagement, de contrôle… et peut-être aussi de mystère.
À l’ère des réseaux sociaux, le vieux dicton « Mon bouton, ma fierté» n’est plus juste une expression populaire libanaise… c’est une stratégie marketing qui a littéralement fait pouf.