Francis Perrin est chercheur associé à l'OCP Policy Center (Rabat) et directeur de recherche à l'IRIS, spécialiste des problématiques énergétiques.
Jamais en quatre ans les cours du pétrole ne sont descendus aussi bas que ces dernières semaines…La Banque mondiale voit le brut descendre à 60 dollars le baril d’ici à 2026. Plausible ?
C’est tout à fait possible et d’ailleurs le prix du pétrole Brent (mer du Nord), qui est coté à Londres, était juste au-dessus de $60 par baril le 5 mai 2025. Les prix ont remonté depuis et nous sommes autour de $65/b pour le Brent entre le 15 mai et le 23 mai. Nous pouvons clairement retomber vers $60/b, ou même un peu moins, mais rien n’est sûr, comme toujours lorsque nous parlons des prix de l’or noir. Il y a en effet dans le paysage pétrolier mondial des tendances mixtes à la hausse et à la baisse et pas seulement des forces à la baisse. Qui va l’emporter ? Grand suspens.
Donald Trump annonce que les Etats-Unis et l’Iran « se rapprochent » d’un accord sur le nucléaire . Cet accord est susceptible d’alléger les sanctions sur le pétrole de la République islamique. C’est un facteur qui est déjà intégré par le marché pétrolier mondial ?
Ces négociations sont un très bon exemple de cette complexité à laquelle les marchés font face. Cette déclaration de Donald Trump a eu un impact à la baisse car un accord entre Téhéran et Washington pourrait effectivement favoriser un allègement des sanctions pétrolières américaines contre l’Iran. Mais, quelques jours après, l’ayatollah Ali Khamenei indiquait qu’il ne croyait pas du tout au succès de ces négociations. Le lendemain, CNN faisait état d’informations provenant des services de renseignement américains sur de possibles frappes israéliennes prochaines contre les installations nucléaires de l’Iran. Or, le 23 mai à Rome, se tient une cinquième session de négociations entre les deux pays, session jugée « constructive’’ et « très professionnelle’’ par les deux parties. En quelques jours seulement, sur un sujet clé, on passe de l’espoir à la douche froide avant de retrouver un optimisme très prudent. On comprend que les marchés pétroliers soient désorientés.
La mollesse de la croissance dans le monde explique aussi la tendance à la baisse du prix du baril ?
Absolument. Il y a un lien étroit entre la croissance mondiale et le niveau des prix du pétrole. Un monde en très bonne santé économique consomme évidemment plus de pétrole. Dans la dernière édition de son World Economic Outlook, publiée en avril, le Fonds Monétaire International a indiqué que le taux de croissance économique mondiale pourrait être de 2,8% en 2025, contre 3,3% en 2024. Et, sur ce sujet, le point clé est la guerre commerciale lancée par Donald Trump, notamment avec son annonce spectaculaire sur les droits de douane ‘’réciproques’’ le 2 avril dernier, le ‘’Jour de la libération’’, selon lui. Rappelons qu’entre le 2 avril et le 8 avril, le prix du Brent a baissé de près de $12/b et cette chute est la conséquence directe du ‘’Jour de la libération’’. Les prix ont remonté ensuite lorsque le président américain a décidé de suspendre ces droits ‘’réciproques’’ pour une période de 90 jours afin de laisser la place à des négociations commerciales. La suite de ces négociations, notamment avec les grandes puissances commerciales comme la Chine, l’Union européenne, le Japon, l’Inde, le Brésil et d’autres, aura un impact important sur l’évolution des prix du brut entre maintenant et la fin de l’année. Et, avec Trump, le résultat de ces multiples négociations très complexes n’est pas facile à anticiper.
L’incohérence de la stratégie de l’OPEP n’explique-t ’elle pas également l’effondrement du prix de l’or noir. En effet, début avril, cinq membres de l’organisation pétrolière (Arabie saoudite, Irak, Emirats arabes unis, Koweït, Algérie) et trois de leurs alliés (Russie, Kazakhstan et Oman) ont signifié des hausses de production trois fois plus importantes que prévu…
Nous avons évoqué l’impact des négociations entre l’Iran et les Etats-Unis et de la guerre commerciale sur les prix du pétrole. Avec votre question, nous passons à un troisième point capital, l’OPEP (12 pays) et l’OPEP+ (22 pays, dont les 12 pays membres de l’OPEP). Comme vous le rappelez, huit pays de l’OPEP+ ont décidé d’augmenter leur production pétrolière en mai de 411 000 barils par jour, soit trois fois plus que ce qu’ils avaient prévu. Puis ils ont annoncé qu’ils feraient de même pour le mois de juin : +411 000 b/j, soit encore trois fois plus qu’annoncé auparavant. Dans un contexte de baisse des prix, ces deux décisions ne pouvaient qu’accentuer la tendance. A la fin janvier, lors du Forum économique mondial à Davos, le président américain avait expliqué qu’il allait demander à l’Arabie Saoudite et à l’OPEP de produire plus pour faire baisser les cours du brut. Il a clairement obtenu satisfaction.
Je profite de votre question pour mettre l’accent sur le point suivant : la baisse des prix du brut depuis le début de l’année est due à Trump, Trump et Trump !
Le président américain a indiqué urbi et orbi depuis plusieurs mois qu’il voulait faire baisser les prix du pétrole et, venant d’un pays qui est à la fois la première puissance mondiale, le premier producteur mondial de pétrole et le premier consommateur d’or noir, cela a un certain poids et, même, un poids certain. Les négociations avec l’Iran, c’est encore Trump qui a proposé un ‘’deal’’ à Ali Khamenei tout en menaçant l’Iran de sanctions économiques encore plus dures et de frappes militaires s’il n’obtenait pas ce qu’il veut. Et la guerre commerciale, c’est évidemment encore Trump.
La rentabilité de la production pétrolière américaine risque également d’en subir les contrecoups de la baisse ?
C’est probablement la grande contradiction dans les stratégies énergétiques de Donald Trump. Le président américain entend faire baisser les prix du pétrole car c’est bon pour le consommateur américain, pour l’industrie américaine et pour l’économie américaine, ce qui est juste. Mais, si la baisse est forte et durable, ce ne sera pas bon pour l’industrie pétrolière américaine alors que l’Administration Trump veut que la production pétrolière des Etats-Unis augmente de façon importante dans les prochaines années. Or, les coûts de production du pétrole dans ce pays ne sont pas ceux du Moyen-Orient. Ils sont évidemment beaucoup plus élevés. Dans une enquête récente de la Federal Reserve de Dallas, les compagnies pétrolières interrogées ont indiqué qu’elles avaient besoin d’un prix d’au moins $41/b pour le West Texas Intermediate (WTI) pour couvrir leurs coûts d’exploitation pour les puits existants aux Etats-Unis mais qu’un prix de $65/b était requis pour dégager un profit pour les nouveaux forages. Le problème est que le prix du WTI est plutôt de l’ordre de $62/b actuellement.
Mais une baisse du prix de baril de pétrole limite aussi le financement de la Russie et donc les revenus financiers pour alimenter sa « machine de guerre » contre l’Ukraine ?
Tout à fait et Donald Trump l’avait dit lors de son intervention par visioconférence lors du Forum de Davos que j’évoquais tout à l’heure. Des prix du pétrole plus bas exerceraient une pression supplémentaire sur la Russie, qui est le deuxième producteur mondial de pétrole et un très gros exportateur de brut et de produits raffinés. Cela dit, le président américain n’est pas très désireux à ce jour d’exercer de fortes pressions sur la Russie en plus de l’évolution des prix du brut, notamment via des sanctions économiques. Il y a pourtant au moins 80 sénateurs américains (sur 100 au total) qui soutiennent le Sanctioning Russia Act of 2025, un projet de loi qui pourrait déboucher sur des droits de douane allant jusqu’à …500% pour tous les pays qui importeraient des hydrocarbures provenant de la Russie.
Une baisse du prix de l’énergie fossile c’est aussi une mauvaise nouvelle pour la décarbonation des économies dans le monde ?
C’est tout à fait juste et l’on n’a pas l’impression que la décarbonation de l’économie mondiale soit la priorité des priorités par les temps qui courent. Donald Trump est sorti de l’Accord de Paris dès le 20 janvier 2025 et a démantelé tout le plan climat (‘’Green Deal’’) mis au point par l’Administration Biden. Le président américain soutient à fond toutes les énergies fossiles (pétrole, charbon et gaz naturel). Il veut plus de production de pétrole et de gaz et entend relancer le charbon aux Etats-Unis alors que cette source d’énergie est en déclin depuis plusieurs années outre-Atlantique. Certes, les Etats-Unis ne sont pas le monde à eux seuls mais ce pays est la première puissance mondiale et une superpuissance énergétique. Ce qui est décidé à Washington ne peut pas ne pas influencer le reste du monde, au moins en partie.
Propos recueillis par ERE
Francis Perrin