La dernière tournée du président Donald Trump en Arabie saoudite, au Qatar et aux Émirats arabes unis a produit des résultats aux implications profondes pour le paysage du Moyen-Orient. Bien que certains résultats annoncés aient paru trop beaux pour être vrais, ce tour, marqué par des accords à grand bruit et des gestes symboliques, a signalé un virage vers une diplomatie transactionnelle tout en laissant des tensions non résolues qui continuent de façonner la dynamique régionale.
Pragmatisme plutôt qu’idéologie
La tournée de Trump a privilégié le renforcement des alliances avec les monarchies du Golfe, tout en mettant de côté des partenaires traditionnels des États-Unis comme Israël. En excluant Israël de l’itinéraire et en tenant un sommet du Conseil de coopération du Golfe à Riyad, Trump a souligné un réajustement de la position américaine favorisant les États du Golfe riches en énergie au détriment de partenariats régionaux plus larges. Ce choix risque de tendre les relations avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, mais vise à intégrer davantage d’États arabes dans les Accords d’Abraham, ce qui est dans l’intérêt d’Israël.
La visite a également fait avancer le dialogue avec la Syrie, un changement notable par rapport à la politique américaine passée. La rencontre de Trump avec le président intérimaire syrien Ahmad al-Charaa, la première du genre depuis 2000, et sa décision de lever les sanctions sur Damas visaient à réintégrer la Syrie dans l’ordre régional. Cette évolution, présentée comme une opportunité pour la Syrie de « nous montrer quelque chose de remarquable », a suscité des critiques pour la légitimation d’un régime toujours accusé de violations des droits humains et de massacres contre les minorités.
Méga deals et promesses incertaines
Le voyage a abouti à des engagements économiques impressionnants, les États du Golfe promettant plus de 1 000 milliards de dollars d’investissements et d’achats :
Le Qatar a signé un paquet de 243 milliards de dollars, comprenant une commande record de Boeing et des contrats de défense pour des drones et des systèmes anti-drones.
Les Émirats arabes unis se sont associés à des entreprises américaines pour construire le plus grand centre de données d’IA en dehors des États-Unis, en phase avec leur ambition de devenir un hub technologique mondial.
L’Arabie saoudite a réaffirmé un engagement d’investissement de 600 milliards de dollars ciblant les infrastructures et la technologie américaines, bien que beaucoup doutent de sa faisabilité face aux pressions sur les dépenses domestiques.
Ces accords reflètent un désir mutuel de passer d’un cadre « pétrole contre sécurité » à des partenariats économiques diversifiés. Cependant, le scepticisme demeure. Le Atlantic Council souligne que les promesses d’investissements du Golfe manquent souvent de feuilles de route claires, l'engagement de 600 milliards de dollars de l’Arabie saoudite représentant une part « incroyablement élevée » de son économie compte tenu des contraintes fiscales liées à Vision 2030. De même, l’engagement de 1,4 trillion de dollars des Émirats fait face à des vents contraires dus à la volatilité des marchés mondiaux.
Ventes d’armes et conflits non résolus
Les accords de sécurité ont dominé l’agenda, renforçant la dépendance des États du Golfe aux systèmes de défense américains :
- L’Arabie saoudite a obtenu un contrat de missiles de 3,5 milliards de dollars, renforçant ses défenses aériennes face aux menaces des Houthis.
- Le Qatar a finalisé un contrat de 2 milliards de dollars pour les drones MQ-9B de General Atomics et un paquet anti-drones d’un milliard de dollars de Raytheon. Par ailleurs, les États-Unis ont étendu leur présence à la base aérienne d’Al Udeid au Qatar, un centre névralgique des opérations au Moyen-Orient.
Ces accords renforcent les liens bilatéraux mais ne répondent pas à l’objectif saoudien d’un pacte de sécurité formel avec les États-Unis. Bloomberg note que les discussions à ce sujet restent « une continuation du dialogue plutôt que sa conclusion », Washington étant prudent à ne pas trop s’engager.
L’approche de Trump aux conflits régionaux a donné des résultats mitigés. Sa proposition pour une « zone de liberté » à Gaza, plan vague de développement sous gestion américaine, n’a pas traité la campagne militaire israélienne qui s’est poursuivie sans entrave durant la visite. De même, bien que Trump ait vanté les efforts de paix menés par les États du Golfe au Yémen, la crise humanitaire n’a connu aucun progrès tangible. Israël n’a jamais arrêté son offensive à Gaza et a repris ses frappes au Yémen dès le départ de Trump.
Qu’en est-il du Liban ?
L’avenir du Liban a été abordé, notamment dans le contexte de la reprise économique et de la stabilité régionale. Trump a réitéré la position américaine visant à mettre fin au pouvoir militaire et à l’influence du Hezbollah, ainsi qu’à promouvoir des réformes politiques et économiques.
Cette approche s’est reflétée dans les déclarations de la vice-émissaire américaine Morgan Ortagus lors du Forum économique au Qatar, qui a indiqué que « le FMI n’est pas la seule option », signalant une vision américaine pour le Liban centrée sur l’attraction d’investissements privés et la réduction de la dépendance aux prêts internationaux. Elle a esquissé un « grand plan » pour transformer le Liban en pays d’investissement, pouvant éliminer le besoin d’aide du FMI si des réformes suffisantes et la confiance des investisseurs étaient obtenues.
Défis futurs
La visite a laissé non résolus les crises les plus urgentes de la région, de la dévastation à Gaza aux ambitions nucléaires iraniennes. Cependant, elle a profondément remodelé l’approche américaine vis-à-vis du programme nucléaire iranien, mêlant une urgence diplomatique renouvelée à des menaces militaires persistantes, tout en s’appuyant sur des alliances régionales pour faire pression sur Téhéran.
Trois changements clés dans la stratégie américaine ont été mis en lumière :
1. Une poussée diplomatique assortie de demandes transactionnelles, Trump annonçant que les États-Unis étaient « très proches » d’un accord nucléaire, affirmant qu’Iran avait « en quelque sorte » accepté des termes. Cela marque un départ de la stratégie précédente de « pression maximale » basée sur sanctions et isolement. Cependant, toute entente est conditionnée à l’arrêt par l’Iran du soutien à des groupes comme le Hamas, le Hezbollah et les Houthis, ainsi qu’à un désarmement vérifiable, avec le démantèlement de l’infrastructure nucléaire iranienne et une surveillance stricte.
2. L’utilisation des alliances régionales comme leviers de pression.
3. Un positionnement militaire en arrière-plan, où Trump a réaffirmé la préparation militaire, avertissant l’Iran que l’échec d’un accord entraînerait des actions « très hostiles », reprenant sa promesse de 2020 d’empêcher une arme nucléaire iranienne « par tous les moyens nécessaires ».