À l'approche des élections municipales libanaises de 2025, des questions cruciales refont surface concernant le rôle des médias locaux : traitent-ils le processus électoral comme un espace libre d’expression et d’opportunités égales, ou deviennent-ils un miroir des préjugés sociaux et politiques qui marginalisent les femmes et les excluent de la lumière des projecteurs ?
Malgré la réputation du Liban pour sa diversité médiatique—souvent citée comme l'une de ses principales caractéristiques par rapport aux pays voisins—les indicateurs de terrain et les rapports spécialisés pointent un déséquilibre structurel profond dans les performances médiatiques, en particulier dans leur couverture des candidates féminines. La liberté, qui devrait permettre aux médias de jouer un rôle de vigilance et de soutien à la démocratie, se transforme parfois en une liberté sélective qui sert des agendas spécifiques et perpétue l'inégalité des sexes.
Marginalisation des femmes dans le paysage médiatique
Un examen de la performance des médias libanais lors des élections passées révèle une tendance discriminatoire continue à l’égard des femmes, malgré une augmentation relative de leur candidature. Deux études de la Fondation Maharat sur les élections parlementaires de 2018 et 2022 mettent clairement en évidence des disparités dans la couverture : les candidates féminines ont eu une présence minimale dans les segments d’information et les émissions de débat, et ont été largement ignorées par les principaux journaux et plateformes médiatiques.
En 2022, par exemple, bien que les femmes représentaient plus de 16% de tous les candidats, leur représentation dans les bulletins d'informations n’a pas dépassé 5%, et 18% dans les émissions de débat. Ce décalage montre que la couverture médiatique n’a pas suivi la hausse du nombre de femmes candidates. Les projecteurs sont restés fixés sur les candidats masculins, comme si la participation des femmes aux affaires publiques était encore un phénomène marginal.
L'influence des partis et la domination de l'argent politique
Si les médias souffrent de dépendances politiques, les partis traditionnels savent parfaitement comment les utiliser à leur avantage. Lors des élections de 2022, ces partis ont dominé plus de 95% de la couverture médiatique, tandis que les groupes émergents—including les femmes candidates—ont eu une visibilité limitée. Le même scénario s’est reproduit en 2018, reflétant un déséquilibre chronique dans la structure des relations entre les médias et le pouvoir.
Une autre problématique était le manque de sensibilisation électorale : les contenus d’information n’ont représenté que 0,13% de la couverture totale, avec une absence totale de contenu adressant les personnes handicapées. Parallèlement, les émissions de débat se sont transformées en « scènes d'un seul homme », ignorant la diversité et le véritable dialogue.
Les médias renforcent les stéréotypes
Selon la docteure Rita El Chamaa, experte en sciences politiques, interviewée par Safa News, « Les médias libanais tombent souvent dans le piège des stéréotypes. Plutôt que de se concentrer sur les programmes des candidates et leurs rôles dans le développement local, l’attention se porte sur leur vie personnelle ou leurs rôles familiaux. Ce type de couverture ne se contente pas de marginaliser les femmes—il renforce la perception que leurs contributions politiques sont secondaires. »
Elle ajoute, « La couverture officielle reste extrêmement limitée, tandis que les réseaux sociaux reposent largement sur les efforts individuels des candidates elles-mêmes. Bien que certaines aient habilement utilisé les plateformes numériques et les vidéos pour exposer leurs idées, leur portée publique reste restreinte en raison de l'absence de soutien institutionnel. »
L'argent et la visibilité médiatique : une équation déséquilibrée
Selon l'activiste des droits humains Josephine Zgheib, l'argent est la clé d'accès aux médias. Dans une société où les hommes dominent les sphères économiques et politiques, il est particulièrement difficile pour les femmes—en particulier celles non affiliées à des partis traditionnels—de financer leurs campagnes ou d'acheter de l'espace publicitaire. Cette disparité économique se traduit directement par une absence médiatique, réduisant les chances d’engagement public envers les candidates.
S’exprimant auprès de Safa News, Zgheib explique, « Les médias ne sont pas l’espace neutre qu’on suppose—ils sont fortement influencés par l’argent, les relations et le pouvoir. Dans un contexte où les femmes sont largement exclues des postes décisionnels financiers et économiques, elles peinent à se faire une place dans le paysage médiatique. Cela renforce un cycle continu de marginalisation. »
Des exceptions à la règle ?
Malgré ce tableau sombre, quelques médias tentent de s'écarter de cette tendance. Le journal An-Nahar, par exemple, fait un effort concerté pour offrir une couverture équilibrée, comme l'explique la journaliste Diana Skaini, interviewée par Safa News. « Nous ne faisons pas de distinction entre candidats et candidates, » dit-elle. « Nous mettons l'accent sur la compétence et le contenu du programme. »
Elle ajoute que An-Nahar s’engage également à promouvoir la sensibilisation au genre au sein de sa rédaction et adopte un discours inclusif qui respecte la diversité et toutes les catégories sociales. Bien que cette approche ne soit pas encore majoritaire, elle porte les germes d'un changement possible et prouve que les médias peuvent être un outil de justice, et non de discrimination, lorsqu'ils en ont la volonté.
La société civile : l'alternative possible
Face à l'imperfection de l'équilibre médiatique, les organisations féministes et les associations de défense des droits humains jouent un rôle croissant. Nombre de ces associations ont lancé des plateformes alternatives sur les réseaux sociaux pour faire connaître les candidates ou financer des campagnes médiatiques pour les soutenir. Parmi les initiatives les plus notables figure SALMA (Ensemble pour l’Égalité), un programme lancé par l'ONU et l'organisation Fifty-Fifty en coopération avec le gouvernement du Canada. Son objectif est d’augmenter la représentation des femmes dans les conseils municipaux à au moins 30%, avec un engagement en faveur de la parité dans les fonctions de maire et de vice-maire.
Joëlle Abou Farhat, présidente de Fifty-Fifty, déclare à Safa News que l'objectif n'est pas seulement d'augmenter les chiffres, mais d'assurer une réelle inclusion des femmes dans la prise de décision locale pour garantir un développement global et une véritable coopération dans la gouvernance locale.
En conclusion
Les médias, dans la mesure où ils peuvent être un miroir de la société libre et plurielle, peuvent aussi devenir un outil qui renforce la marginalisation et reproduit l'inégalité, à moins que des réformes structurelles ne soient mises en place pour réorienter leur boussole éthique et professionnelle. Ce qui est nécessaire, ce n’est pas seulement que les femmes soient « visibles » dans les médias, mais qu’elles soient perçues comme des actrices politiques légitimes, avec une vision, des compétences et la capacité de changer les choses.
Les élections de 2025 représentent une véritable opportunité—et peut-être un véritable test—pour les médias libanais : prouveront-ils qu'ils peuvent faire partie d'un mouvement réformiste qui favorise les femmes et promeut la transparence, ou continueront-ils à être un reflet des structures de pouvoir traditionnelles, avec toutes ses injustices et exclusions ?